Recommandations soumises au Conseil Supérieur de la Magistrature

Dix points clés sur la performance de la Cour spécialisée de lutte contre l’esclavage, la traite des personnes et le trafic illicite de migrants
Le bilan du travail et des activités de la Cour spécialisée de lutte contre l’esclavage, la traite des personnes et le trafic illicite de migrants – après près d’une année depuis sa création – confirme un succès aux niveaux national, régional et international, à travers ses jugements et décisions dissuasives. Cela constitue en soi un appui non négligeable à l’action des institutions judiciaires nationales, un renforcement de la confiance en celles-ci et en leur indépendance, plutôt que la remise en cause de leur intégrité ou l’affaiblissement de la confiance des citoyens dans le processus judiciaire, lequel connaît une dynamique de développement continu.
Il va sans dire, à l’aube de la nouvelle année judiciaire, qu’il est opportun de présenter un ensemble d’observations relatives à la performance de cette Cour dans le traitement des affaires portées devant elle en matière d’esclavage, de traite des êtres humains et de migration irrégulière. Cette occasion, traditionnellement consacrée à l’évaluation de l’activité des différentes juridictions et de la performance de leurs magistrats et personnels, permet de relever les points suivants :
Premièrement :
La composition de la Cour, représentée par son Président – pleinement consciente de l’ampleur de la responsabilité – exprime sa fierté d’avoir été choisie comme première équipe chargée de la gestion de cette juridiction naissante, première du genre dans notre système judiciaire, et même dans la région, spécialisée dans les affaires d’esclavage, de traite des personnes et de trafic de migrants.
Deuxièmement :
La Cour exprime sa profonde reconnaissance pour la haute confiance que lui a accordée le Conseil Supérieur de la Magistrature à travers la nomination de ses membres et de son Président, ainsi que pour les responsabilités qui en découlent, lesquelles sont assumées avec gratitude et sérieux dans l’ensemble de ses décisions et jugements.
Troisièmement :
La Cour réaffirme sa pleine appréciation du respect de son indépendance par les différentes autorités supérieures, en particulier le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, Son Excellence le Président de la République, en sa qualité de premier magistrat, Son Excellence le Ministre de la Justice, le Président de la Cour suprême et le Procureur général près la Cour suprême. Il est confirmé qu’aucune ingérence n’a été enregistrée de la part des plus hautes autorités des pouvoirs exécutif et judiciaire dans le travail de la Cour, visant à influencer ou à exercer une pression sur ses décisions, bien qu’il s’agisse d’une juridiction nationale nouvellement créée.
Quatrièmement :
La Cour se félicite du fait que son activité, tout au long de l’année écoulée, a fait l’objet d’une évaluation permanente et continue à différents niveaux, nationaux et internationaux, et a bénéficié d’une appréciation et d’éloges unanimes, sans qu’aucune observation négative notable n’ait été enregistrée.
Cinquièmement :
La Cour appelle, en son nom, à consacrer le respect de ses jugements et décisions dissuasives, lesquels ont contribué, sans aucune ambiguïté, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, à la réalisation de la dissuasion et à la promotion de la justice.
Elle plaide pour que les décisions de cette Cour soient définitives, conformément aux principes de notre noble religion, fondée sur l’indivisibilité de la responsabilité du juge dans l’exercice de sa fonction, ainsi qu’à la Constitution du pays, en tant que norme suprême, laquelle consacre la Charia comme source unique du droit.
Dans cette orientation législative, s’inscrit la responsabilité du Président de la Cour dans l’adoption des décisions et jugements en vertu de la loi n° 039/2025 portant création de la Cour spécialisée.
Cette nécessité découle du fait que la Cour constitue l’unique juridiction spécialisée dans son domaine de compétence. La pratique judiciaire révèle souvent une discordance entre le travail de cette Cour et celui des chambres pénales de degré supérieur, alors même que la politique pénale est claire et explicite : elle privilégie la spécialisation de la Cour en premier lieu, en raison des garanties qu’elle offre aux niveaux national et international.
Sixièmement :
Il est rappelé que cette Cour a été créée sur la base de la fusion de trois juridictions qui, pendant neuf années, ont traité des affaires d’esclavage et de pratiques assimilées. Ces juridictions ont été intégrées, depuis un an, en vertu de la loi n° 039/2025, conférant à la Cour une compétence judiciaire unifiée dans des domaines convergeant tous vers la consécration du respect de la dignité humaine, à savoir : l’esclavage, la traite des personnes et le trafic illicite de migrants.
Septièmement :
Outre la politique de dissuasion et le respect des règles contraignantes des droits de l’homme dans l’ordre juridique national, que la Cour s’est attachée à consacrer, son image est positive tant pour la justice que pour le pays de manière générale.
À cet égard, la Ligue des États arabes a salué, lors de l’une de ses conférences consacrées à la traite des personnes, l’une des décisions de la Cour, la qualifiant de « jugement de principe honorant la justice mauritanienne et les systèmes judiciaires des États membres de la Ligue arabe dans la lutte contre la traite des personnes, reposant sur une approche combinant le droit comparé, la Charia et le droit positif ».
De même, des mécanismes onusiens compétents en matière de migration, de droits des travailleurs migrants, de réfugiés et de droits de l’homme, réunis à Genève lors de leurs dernières sessions, ont exprimé leur appréciation du travail de la Cour.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies chargé des questions relatives aux réfugiés et aux droits de l’homme a salué l’action de la Cour dans un laps de temps limité( une année d’existence) qui a réalisé un travail remarquable.
Par ailleurs, les partenaires du pays, notamment l’Union européenne et les États-Unis reconnaissent, par rapport à la « politique judiciaire migratoire » un juste traitement sur le plan juridictionnel en même temps que sur celui de la protection efficace du droit des migrants et des personnes vulnérables victimes d’exploitationen tout genre une avancée notoire.
Huitièmement :
Durant l’année judiciaire 2025, la cour a eu à traiter 205 affaires ayant fait l’objet d’investigations profondes, étayées, motivées avec le respect du contradictoire essentiel pour préserver et protéger les droits de la défense sur la base du respect du principe cardinal en droit pénal de la présomption d’innocence.
Au jour d’aujourd’hui, dix affaires connaissent un renvoi et dix autres sont en instance d’être enrolées lors des prochaines audiences.
Il est également à préciser que les recettes issues des amendes exécutées s’élèvent à deux millions deux-cent soixante-dix-huit mille (2 278 000 mru)ouguiyas, tandis que les recettes provenant des transactions pénales atteignent trois millions cent quatre-vingt-dix-sept mille(3 197 000 mru) ouguiyas, sans compter les amendes et confiscations prononcées lors des deux dernières sessions (Nouadhibou et Nouakchott), dont le montant dépasse largement cent mille (100.000 mru) Ouguiya et qui font l’objet de recours.
Neuvièmement :
La Cour insiste sur la nécessité de centraliser l’action du ministère public auprès du Parquet de la République près ladite Cour, afin de réguler l’activité judiciaire à l’échelle nationale de manière appropriée, au service de la politique pénale qui la sous-tend, et d’exercer son autorité sur les dossiers impliquant des prévenus en liberté, tout en garantissant leur comparution aux audiences.
Dixièmement :
La Cour spécialisée souligne que, dans l’accomplissement de la mission qui lui a été confiée avec loyauté et rigueur, elle s’est attiré des inimitiés à différents niveaux.Toutefois, elle a, en contrepartie, restauré la stature de la justice et l’efficacité de ses décisions. Elle se félicite surtout d’avoir remporté le pari le plus important, à savoir la protection des droits et la réalisation de la justice pour l’ensemble des justiciables, sur un pied d’égalité, dans toutes les affaires qu’elle a traitées.
Conclusion :
La question essentielle demeure : le renforcement de l’approche judiciaire à travers le soutien accru au rôle de cette Cour se poursuivra-t-il, ou assistera-t-on à un recul au profit de l’émergence, à l’horizon, d’une nouvelle politique pénale ?
Le Juge
Cheikh Sidi Mohamed Cheina
Président de la Cour spécialisée de lutte contre l’esclavage, la traite des personnes et le trafic de migrants




