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Afrique de l’Ouest: Sahel – Ukraine et sécurité régionale

Par Ahmedou Ould Abdallah

La guerre en Europe, plus précisément l’attaque contre l’Ukraine, a éclipsé les priorités internationales en matière de sécurité y compris « la lutte mondiale contre le terrorisme ».

Autre point non négligeable, elle a projeté un nouvel éclairage sur la réalité des relations diplomatiques entre les états africains et leurs partenaires occidentaux. Et cela, quelques jours seulement après leur consensus lors du sommet Union Africaine – Union Européenne de Bruxelles !

Comment interpréter cet éclairage et quel en sera l’impact sur les futurs rapports entre les deux régions y compris en particulier dans le combat contre le terrorisme au Sahel ?

Des relations souvent indécises.

En plus des questions classiques de l’allègement de la dette et de la relance des économies africaines, le sommet de Bruxelles, avec une large présence de chefs d’états, s’est conclu sur des engagements en faveur de la prospérité pour tous. Ceci à travers un partenariat visant précisément à assurer la stabilité politique basée sur l’échange et le partage en matière d’infrastructures, de technologies vertes et d’investissements publics et privés.

Face à des menaces complexes et de plus en plus transfrontalières, tel le terrorisme, les cyberattaques et autres dangers hybrides, un partenariat s’imposait. Précisément, le communiqué final fait état de la nécessité de coordonner les efforts communs en particulier à traiter les causes profondes de l’instabilité et de la radicalisation afin d’aller à la résolution structurelle des crises et à la construction d’une paix durable.

Ce consensus entre partenaires doit se faire à travers des « discussions autrement et discussions franches » précisait le président de la Commission de l’UA. Il ajoutait, « un partenariat renouvelé, un nouveau départ et des objectifs communs et une gouvernance conjointe dans un esprit constructif ». La quarantaine de chefs d’Etat africains et les 27 leaders européens ont ainsi convenu de changer de rhétorique pour le mieux.

Cet édifice diplomatique novateur n’a pas tardé à vivre sa première épreuve diplomatique : la guerre en Ukraine.

Suite au véto russe au Conseil de sécurité, la question ukrainienne a été portée devant l’Assemblée générale des Nations Unies pour un vote politique quand bien même il ne pouvait être contraignant. Ce 2 mars 2022, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait une recommandation, pilotée par l’Union Européenne et l’Ukraine, « exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ». Sur les 193 états membres, 141 ont approuvé le texte, cinq s’y sont opposés et 35 se sont abstenus. Les africains se sont prononcés en : 28 pour, 01 contre, 17 abstentions et 08 absents. Ce vote africain, majoritairement mais pas unanimement en faveur de l’Ukraine, a été très mal pris par leurs partenaires européens.

Des jugements différents.

Pour de nombreux africains, au-delà des positions de leurs gouvernements, cette guerre est perçue plus comme un retour à la guerre froide qu’un conflit tels ceux actuellement en cours au Moyen Orient ou en Afrique. L’automatisme de la solidarité avec les ukrainiens (refugiés, déplacés) et de l’ouverture des médias et des parlements au gouvernement de Kiev, la promptitude et la sévérité des sanctions contre Moscou, tout rappelait et relevait de l’ère de la guerre froide. Rien n’était comparable à l’intérêt et l’assistance accordés aux conséquences des guerres meurtrières du Sud. Cette mobilisation unanime des pays occidentaux a-t-elle rappelé à certains africains les solidarités de blocs du temps de la guerre froide et la neutralité d’alors des pays du Tiers Monde ? Certains états africains ayant voté en faveur de la résolution ont pu le penser. Toutefois, leur majorité, consciente de leur propre fragilité face à de puissants voisins, a soutenu le texte proposé. En réalité, peu d’africains s’attendaient à une guerre dans des pays du Nord car depuis la fin de la guerre froide, ex Yougoslavie exceptée, les conflits sévissent surtout au Sud.

Une brouille entre l’Europe et l’Afrique, autour du vote à l’Assemblée générale et à la Commission des Droits de l’homme à Genève, affaiblira-t-elle les recommandations prises à Bruxelles lors du sommet AU / EU ? Sans doute mais pas durablement car tous y perdraient. Si le vote africain à New York n’a pas été automatique, dans un sens ou dans l’autre, les partenaires du Sommet de Bruxelles devraient consolider les bases de leurs relations à travers de plus fréquentes consultations. Plus transparentes et mieux partagées, elles seraient plus durables.

Très fragile, et elle risque de l’être davantage les mois à venir, la situation sécuritaire à travers le Sahel et autour des Golfes de Guinée et du Benin, appelle à la solidarité entre partenaires. Au-delà des malencontreuses péripéties autour de la situation malienne, les engagements pris à Bruxelles vont dans la bonne direction pour lutter contre le terrorisme.

Comme durant la guerre froide, les ruptures diplomatiques sont les choix les plus faciles à prendre. Persister dans une voie étroite, ou sans issue, était alors très apprécié des régimes autoritaires. Aujourd’hui, contrairement à cette période, les réseaux sociaux et Fake news offrent d’immenses choix à tous et en particulier aux jeunes africains désœuvrés des capitales. Ils donnent une base solide à tous ceux qui aspirent au changement. Peu en importe la nature.

La poursuite de ce qu’il faut bien accepter d’appeler une guerre en Europe est un extraordinaire bouleversement humain, diplomatique et économique. Elle est aussi un chamboulement de l’image de pays connus, depuis la fin de la seconde guerre mondiale et surtout celui de la guerre froide, pour leur tolérance en faveur des minorités, des faibles, handicapés et autres groupes sans défense. Une tolérance aujourd’hui fortement mise à l’épreuve et dont les conséquences – l’intolérance et l’exaltation – survivront hélas à la guerre en Ukraine et à la lutte contre le terrorisme au Sahel.

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