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Fin de Barkhane : on réagit au Burkina Faso

Le Point Afrique – Ayant payé aux djihadistes le lourd tribut de plus d’un millier de morts depuis 2015, les Burkinabè posent sur la fin de Barkhane un regard différencié.

Le massacre de Solhan et ses plus de 160 morts la semaine dernière n’est que la dernière illustration de la forte pression, pour ne pas dire le chaos, qui menace un pays au cœur du Sahel comme le Burkina Faso. Pour mesurer l’ampleur des dégâts, il n’y a qu’à se référer au constat, par exemple, de l’Observatoire pour la démocratie et les droits de l’homme.

Sachant qu’entre 2020 et maintenant, le pays a enregistré de nombreuses attaques meurtrières, entre le 4 avril 2015 et le 31 mai 2020, il avait répertorié 436 militaires burkinabè tués et 310 blessés par les djihadistes, 1 219 civils tués et 349 blessés par les djihadistes et 588 civils tués par les forces armées burkinabè.

Autant dire que tout ce qui touche l’opération extérieure française Barkhane intéresse au premier chef les Burkinabè.

Ceux-ci savent le rôle central joué par les 5 100 soldats de l’Hexagone déployés dans le Sahel et en première ligne à côté des forces de défense et de sécurité des pays du G5 Sahel, mais aussi de la Minusma pour ce qui concerne le Mali. Nous avons recueilli quelques réactions de Burkinabè à propos de la fin de l’opération Barkhane.

Maïmouna Ba : « Il est temps pour l’Afrique de s’assumer »

La présidente de l’association Femmes pour la dignité du Sahel estime « du fond du cœur que c’était une erreur de la part de la France d’envoyer ses soldats au Sahel. Il est temps pour l’Afrique de s’assumer et de laver son linge sale en famille ». Elle poursuit : « Peut-être qu’avec ce retrait, nos dirigeants vont commencer à s’assumer et à assurer leurs responsabilités. Compter sur les puissances extérieures, c’est demeurer convaincu que la situation sera maîtrisée et dormir sur ses lauriers. Nous n’avons plus ce droit. Plus personne ne doit mourir pour l’Afrique.»

Art Melody fustige les dirigeants et l’État

Pour le chanteur et musicien, le départ de Barkhane doit être jugé à l’aune d’un certain réalisme. « Il faut une indépendance politique, économique et militaire en Afrique. De ce point de vue, le départ de Barkhane est une bonne chose », dit-il avant de poursuivre : « Mais si on considère l’incapacité de nos dirigeants à gérer les problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés en sollicitant tout le temps de l’aide, alors le départ de Barkhane est une mauvaise chose. »

Concernant l’impact que ce départ peut avoir sur les populations, le chanteur et musicien indique : « Cela ne change rien du tout. Même avec Barkhane, les populations subissent le même sort. La preuve : au Mali, les populations réclamaient déjà leur départ. Ce fléau n’est pas une question de force étrangère ou locale. C’est une question d’abandon des dirigeants vis-à-vis des jeunes dans ces localités. »

Boureima Habibalaye : « Un ouf de soulagement »

Étudiant en sociologie, membre de l’Association des élèves et étudiants pour le développement du Yagha (AEEDY), Boureima Habibalaye dit du départ de Barkhane que « c’est un ouf de soulagement pour nous, Sahéliens.

Depuis son déploiement au Mali, le terrorisme n’a fait que s’accentuer. Et il y a eu des frappes aériennes contre certains villages, comme lors de la célébration d’un mariage à Bounti le 3 janvier, qui ont tué des civils. Le départ de Barkhane est une bonne chose ».

À propos de l’état de la résistance au terrorisme islamiste dans le Sahel, il indique : « Les groupes terroristes n’arrivent plus à recruter dans les villages. Au début, les gens pensaient que c’était pour défendre l’Islam dans la bande sahélo-saharienne. Mais les vols, les tueries de civils innocents et les viols ont conduit ceux qui pensaient les rejoindre à abandonner.

De plus, les groupes terroristes s’entre-tuent. Ces querelles prouvent combien leur territoire est aujourd’hui restreint. Enfin, il y a un grand travail de sensibilisation qui est fait dans les villages. Je peux dire que le terrorisme perd du terrain au Sahel. »

Yahiya Dicko : « Beaucoup d’inquiétude »

Étudiant en droit, militant en faveur des droits de l’homme, Yahiya Dicko, qui vit à Dori, pense que le départ de Barkhane « est un recul dans la lutte contre le terrorisme ». « Sans Barkhane, l’ennemi pourrait se mouvoir plus facilement, et il n’est pas dit que l’armée malienne puisse combler ce vide », ajoute-t-il.

Pour lui, « Barkhane, c’est aussi un matériel militaire important, une logistique de pointe qui va certainement manquer aux armées de la sous-région. C’est donc avec beaucoup d’inquiétude que j’ai appris la nouvelle en tant que Sahélien ».

Pour ce qui est de l’état de la résistance au terrorisme islamiste dans le Sahel, il juge que « les résultats sont très insuffisants ». « Avec tout cet arsenal et toutes les forces dans le Sahel, on s’explique mal l’avancée terroriste. J’estime que la stratégie est peu productive.

Ceci pourrait d’ailleurs expliquer le sentiment anti-français grandissant », précise-t-il avant d’indiquer que « les autorités politiques des pays du Sahel ont certainement conscience des conséquences néfastes de ce retrait. Elles vont devoir revoir des stratégies de défense qui étaient déjà peu efficaces. »

Siaka Coulibaly 
: « Un événement majeur »

À propos de la fin de Barkhane, l’analyste politique estime que « c’est un événement majeur, une étape importante de l’histoire des relations de la France avec ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest.

Avec le Mali, plus d’un siècle de relations pourraient s’arrêter brutalement, puisque Barkhane disparaît pour voir la France jouer un rôle militaire de second plan au sein de la force Takuba. Reste encore à savoir quelle sera la réaction du nouveau pouvoir malien, qui ne s’est pas encore prononcé sur les décisions françaises ».

Pour ce qui est de l’impact de la fin de Barkhane sur les populations, 
Siaka Coulibaly indique que « dans certaines zones comme Gao, au Mali, le départ brusque de Barkhane va certainement se traduire par une aggravation de la situation sécuritaire. Tout dépendra de la réponse nouvelle que les autorités maliennes vont apporter sur le terrain. Sans une aide extérieure, il est probable que l’armée malienne n’arrivera pas à contenir les opérations des terroristes. C’est donc l’inquiétude pour l’instant dans le septentrion malien ».

Quelles vont en être les conséquences politiques
 ? L’analyste burkinabè avance que « la sphère politique des pays les plus exposés au terrorisme ne sera affectée que si les terroristes s’en prennent aux capitales de ces pays, ce qu’ils n’ont pas ou peu fait jusque-là ». Et d’ajouter que « seul le Mali devrait connaître des changements en fonction des intentions des nouvelles autorités, bien que l’on puisse avancer que les événements politiques dans ce pays sont des conséquences indirectes du terrorisme ».

Morin Yamongbe : « Un départ qui s’explique »

Pour le directeur de publication du journal en ligne Wakat Sera, « Barkhane ne devait pas avoir vocation à s’éterniser dans le Sahel si tant est qu’elle y est pour lutter contre le terrorisme. Si elle est restée aussi longtemps, c’est aussi synonyme d’un échec dans cette lutte ». Et de donner des explications quant à son départ : « Elle a sans doute été précipitée parce que l’élection présidentielle de 2022 en France approche à grands pas, or la majeure partie des Français est contre sa poursuite.

L’opération Barkhane est en effet perçue comme budgétivore et a déjà coûté la vie à une cinquantaine de soldats français. » Morin Yamongbe avance comme autre explication « le sentiment anti-français qui ne fait que monter dans les pays du Sahel, notamment ceux ayant encore le CFA comme monnaie, une monnaie considérée comme une monnaie de servitude ». Pour lui, « l’opportunité des deux coups d’État en neuf mois au Mali a été saisie par Emmanuel Macron pour signer l’acte de décès de Barkhane, dont le retrait est prévu pour fin juin ».

Pour ce qui est de l’impact, le journaliste indique que « les populations, notamment celles du Mali, n’ont plus confiance en la France, qui porte malheureusement le péché originel d’ancien pays colonisateur ». Conséquence : « Les pays (sahéliens) où la confiance est rompue sont tentés de se jeter dans les bras de la Russie ou de la Chine, oubliant qu’ils courent le risque d’une nouvelle recolonisation, par de nouveaux maîtres dont ils vont finir également par se lasser un jour. »

Et de poursuivre : « Aujourd’hui, c’est clair que les troupes étrangères, tant qu’elles ne sont pas françaises seront accueillies à bras ouverts au Mali. De plus, certains dirigeants du Sahel, par pur chantage ou poussés par leurs peuples, sont prêts à aller voir ailleurs ou à tout le moins essayer de tirer profit de la rivalité entre les pays tentés par l’Afrique, dans leurs costumes de partenaires en attendant que se révèle leur véritable jeu, et la France arc-boutée dans la préservation de son pré carré.

Propos recueillis à Ouagadougou par Anne Mimault

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