Évaluation publique du programme d’urgence de la ville de Nouakchott : transparence ou mise en scène politique ?

Le retour théâtral du Premier ministre Moctar Ould Ndye, ce week-end, après cinq semaines de silence, n’est pas passé inaperçu.
Vêtu d’un jean froissé, d’un T-shirt moulant un ventre affirmé, et de lunettes Ray-Ban soigneusement choisies, il a signé un come-back sous les projecteurs dans une posture mêlant décontraction assumée et autorité revendiquée. Une mise en scène à l’américaine, façon « je suis toujours là », qui suscite autant de commentaires que de doutes.
Derrière cette chorégraphie médiatique, une interrogation persiste : cette opération de communication vise-t-elle à rassurer une opinion inquiète, ou à gagner des points dans une lutte de pouvoir qui divise les sphères dirigeantes ?
Un retour très calculé, des questions en rafale
Le Premier ministre a opté pour une réapparition soigneusement stylisée, à mi-chemin entre « bad boy » politique et dirigeant proche du peuple. Mais le contraste entre le ton détendu et la gravité des enjeux accentue le malaise. Pourquoi une absence aussi longue ? Crise de santé ? Frictions internes ? Tentative de limogeage ? Le mutisme des autorités ces derniers temps n’a fait qu’alimenter les spéculations.
Ce retour semble calqué sur une séquence précédente du chef de l’État, lui aussi sorti de l’ombre pour rassurer… ou reprendre la main. Est-ce un scénario écrit à plusieurs mains, ou une guerre d’ego en plein jour ?
Quant à l’évaluation publique des ministres, présentée comme un exercice de transparence, elle a surtout révélé le flou et l’impréparation. S’informer en public sur un tel programme et donner des ordres à la volée, c’est reconnaître que rien n’est prêt. Où sont les feuilles de route ? Où est le système de suivi et évaluation ?
Le « programme d’urgence » : plan de sauvetage ou écran de fumée ?
Censé moderniser la capitale, renforcer les infrastructures et répondre aux attentes pressantes des citoyens, le programme d’urgence arrive à point nommé… ou plutôt trop bien nommé. Car il s’ajoute à un programme annuel récemment adopté, au budget colossal, déjà jugé irréaliste par de nombreux observateurs.
On assiste à une multiplication de promesses sans base solide. Des urgences sont inventées pour faire oublier les retards, les échecs, les renoncements.
Comment croire à la faisabilité d’un tel programme alors que le programme annuel du gouvernement pour l’année 2025 peine à démarrer ? Comment concilier les priorités du gouvernement avec celles, soudainement mises en avant, de la ville de Nouakchott ? L’improvisation semble être devenue la norme.
Crises en cascade, pouvoir à la dérive
Le contexte régional est explosif : conflit armé à l’est, tensions diplomatiques au nord, pressions d’États arabes hostiles à toute reconnaissance d’un parti islamiste local. Ce dernier point pourrait d’ailleurs éclairer les vraies motivations du dialogue annoncé.
Sur le plan intérieur, le climat politique se dégrade. Le président, qualifié par certains de « leader en hibernation », se montre de plus en plus distant et peine à trancher dans les luttes internes au sommet de l’État.
Pendant ce temps, la rue gronde : flambée des prix, chômage massif des jeunes, sentiment d’injustice des communautés marginalisées. Le gouvernement parle d’urgence urbaine, alors que les vraies urgences sont sociales, économiques, humaines.
Conclusion : l’heure des comptes a sonné
Dans un Sahel traversé par les coups d’État, les menaces sécuritaires et les ingérences étrangères, la Mauritanie avance en équilibre instable.
Les mises en scène politiques, aussi maîtrisées soient-elles, ne peuvent plus masquer les fractures sociales ni contenir la soif de changement d’un peuple lassé des faux-semblants.
L’évaluation publique des ministres et le programme d’urgence n’auront de sens que s’ils s’accompagnent d’actions concrètes : lutte réelle contre la corruption, réformes administratives, inclusion sociale et transparence dans la gestion des fonds.
À défaut, ces annonces ne seront qu’un nouvel épisode dans un feuilleton politique où le spectacle prime sur le réel.
MS