Dialogue National : enfin la feuille de route… mais sans la question cruciale de l’économie

La Coordination du Dialogue National, initiative salutaire portée par le Président de la République en réponse aux appels insistants de la classe politique et de la société civile. Cette initiative vient de matérialiser un engagement fort, formulé dès la campagne présidentielle de 2019 et réaffirmé lors du discours d’investiture du Président de la république dans la même année.
Après six longues années d’attente, cette dynamique mérite d’être quand bien même saluée et maintenue jusqu’au bout. Il convient ici de féliciter la classe politique pour sa maturité, la coordination pour sa rigueur, ainsi que l’ensemble des parties prenantes pour leur volonté d’aboutir à un cadre de concertation inédit.
Au demeurant, les forces vives fondent un grand espoir à la réussite de ce dialogue s’il est mené méthodiquement avec la rigueur et la sincérité et peut, ainsi, constituer un tournant historique.
La feuille publiée le vendredi 26 Juin 2025 se distingue par sa cohérence, son ambition et son alignement avec la ligne de conduite affichée jusque-là par le coordinateur, Mr Moussa Fall et sans doute sur la base des orientations du Président de la République. C’est une avancée à saluer, tant sur le fond que sur la forme. Pour la première fois depuis longtemps, un espace s’ouvre pour discuter des grandes fractures du pays et proposer des solutions consensuelles.
Cependant, une omission m’interpelle : la question économique, pilier fondamental de toute réforme durable, semble reléguée au second plan, voire absente en tant que thématique devant être autonome ou choisit à part entière. Elle est peut-être incluse de manière implicite dans l’axe « gouvernance », mais une telle approche dilue son importance stratégique. Or, dans un pays où l’économie demeure le socle de toutes les inégalités et frustrations, la « marginalisation » de cette est à la fois regrettable et seraient une insuffisance qui impacteront les résultats du dialogue.
Depuis l’indépendance, la Mauritanie a poursuivi un modèle basé principalement sur l’exploitation brute et l’exportation de ses ressources naturelles, sans réelle politique industrielle ni vision de transformation locale. Résultat : des ressources stratégiques ; le fer, l’or, les produits halieutiques ont été exploitées sans créer de chaîne de valeur interne pourvoyeur d’emploi et d’insertion socio-économique et sociale majeure. Pire encore, les opportunités à venir, telles que le gaz du GTA, l’hydrogène vert, l’uranium ou le phosphate, risquent de suivre la même trajectoire si aucun sursaut n’est opéré. Il faut un véritable changement de paradigme au plan économique.
Car sans système économique juste, durable et inclusif, il ne saurait y avoir ni justice sociale, ni unité nationale. Tant que la gestion des ressources reste opaque, et que les critères subjectifs de régionalisme, clientélisme et tribalisme guident les politiques publiques, notamment en matière de recrutement ou d’investissements, l’équité restera un mirage. Sans équité, pas d’Unité Nationale !
Car dans notre pays, il est malheureusement perçu que le « gâteau national » est comme une denrée à partager entre privilégiés, de ce point de vue la réforme économique devient une urgence vitale. Il ne s’agit pas uniquement d’augmenter les recettes, mais de redistribuer la richesse, de créer des emplois productifs, de renforcer le tissu entrepreneurial, et d’assurer à chaque citoyen une place dans la vision et le projet de construction nationale.
Pour y parvenir, je suggère :
• La mise en place d’une Commission spéciale sur les questions économiques, composée de praticiens expérimentés, de technocrates honnêtes, d’universitaires reconnus et de professionnels mauritaniens de la finance et de l’économie internationale. Cette commission, constituée selon des critères rigoureux et objectifs, devra travailler en étroite collaboration avec les participants au Dialogue afin de formuler des recommandations concrètes et applicables.
Ces propositions pourraient ensuite être intégrées aux conclusions des Assises nationales, telles que préconisée dans la feuille de route. Je pense qu’en dehors des divergences politique, il est temps que la classe politique s’entende sur la voie économique que le pays est censé emprunter.
Dans un monde en pleine mutation et dans un contexte géopolitique tendu, la Mauritanie ne peut se permettre de rater un tel tournant. L’après-COVID-19 et crises ayant suivie la guerre en Europe ont démontré combien les modèles économiques fragiles sont vulnérables pour les pays et les populations. Ce Dialogue National est une opportunité précieuse pour repenser les fondements du vivre-ensemble, mais il ne peut être complet sans un large débat structuré sur l’économie nationale.
Nous adressons nos félicitations sincères à la Coordination du Dialogue pour le travail engagé et formulons les vœux les plus sincères pour que cette initiative majeure aboutisse à des résultats concrets et porteurs d’avenir. Car c’est par une vision économique claire, équitable et inclusive que la Mauritanie pourra espérer bâtir une nation unie, résiliente et tournée vers l’avenir.
Dahaba Djibril DIAGANA