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De la traduction encore / Aichetou Ahmedou

L’essentiel dans la traduction que je fais, c’est de transmettre dans la mesure du possible les idées, les images, les sentiments et les sensations au lecteur mauritanien non hassanophone et au lecteur étranger.
Les traducteurs de poésie doivent utiliser plein d’acrobaties linguistiques et faire preuve d’une imagination débridée, pour pouvoir transmettre les sensations subtiles et les sentiments profonds qui émaillent toute poésie digne de ce nom. La traduction est en fait une communication d’informations et non une communication de langue. Ce n’est pas un cours de langue mais la transmission du contenu d’un texte.
Les traducteurs doivent toucher le lecteur, l’influencer et assister à l’excitation que leur créativité ne manquerait pas de provoquer. La poésie maure se prête volontiers à cette attitude, car elle est riche de symbolisme, de manières détournées et discrètes, pudiques, de suggestions obscures, de métaphores locales, pour dévoiler les idées et les sentiments du poète. Les poètes maures font exploser des bombes de sensations, sans avoir l’air d’y toucher.
Moi, j’analyse le champ sémantique des mots utilisés par le poète à traduire et j’en conserve le sens évidemment, je le traduis et lui ajoute la rime et la musique. Sémantique et prosodie. Donc, je ne traduis pas les mots en termes de vocabulaire. J’essaie de transformer les vers arabes en vers français, que le lecteur pourra comprendre, malgré sa différence de culture.
Je traduis la poésie maure, si rigidement codifiée, en poésie libre mais rimée, même si les rimes sont parfois pauvres (un seul phonème). Il m’arrive, sans que j’y fasse attention, de me rendre compte que le poème traduit en français, s’est transformé en poème respectant une métrique fixe, comme l’original. Pas le même nombre de syllabes, mais un nombre fixe tout de même. Comme il m’arrive, surtout pour la poésie féminine, de traduire tebriâ en poème identique à la métrique du tebraa, deux hémistiches, le premier de 5 à 6 syllabes et le deuxième de 8 syllabes. Exactement la même métrique que le tebra. Cela arrive tout seul, sans que cela soit prémédité. Question, je pense, d’inspiration, d’humeur, de disposition.
Parfois, j’essaie de traduire le poète lui-même car la poésie est une somme de sensations avant d’être des mots. On décèle facilement les sentiments derrière les idées. Il m’arrive aussi de divulguer dans ma traduction les émotions que je devine en filigrane, derrière les mots utilisés par le poète, et je ne pense pas que ce soit une effraction.
Certains lecteurs préfèrent que j’utilise le même vocabulaire que le poète, sinon, ils trouvent qu’il y a eu trahison de ma part du contenu, alors que pour moi la véritable trahison, c’est de traduire la poésie en prose, comme si on transformait un verger opulent en un désert sec et aride. D’autres, que je préfère, apprécient plutôt que je traduise l’esprit du texte original, une traduction littéraire et non une traduction littérale.
A travers mes histoires, roman et nouvelles, j’ai voulu faire connaître notre société sur le plan social. A travers mes traductions, je veux que les autres découvrent notre riche patrimoine culturel et littéraire plein d’émotion, méditatif, contemplatif, tendre et spirituel. Complexe et attachant. Profond et captivant. Un grand peuple inconnu et méconnu, très original et quelque peu surprenant, une langue d’une richesse vertigineuse et l’art de jouer avec les mots, de tout dire sans rien dire. Une grande sensibilité pour la beauté orale. Très intelligents, profondément pacifiques. Cultivant le spirituel et l’éphémère. C’est tout ça que j’essaye de faire découvrir aux autres. C’est aussi une manière de conserver ce patrimoine pour la postérité, ne pas le laisser se perdre avec le temps et aussi fournir un fonds documentaire pour les chercheurs dans le domaine littéraire, culturel et artistique des sociétés.
Peut-être aussi qu’un jour, qui sait, cela permettra à notre poésie d’être étudiée dans des classes francophones.
Il est plus simple de traduire la signification d’un poème maure que de traduire son esprit. Mais ça vaudra toujours le coup d’essayer. En tout cas, pour moi. Mon éducation franco-maraboutique me permet d’être à l’aise pour passer de la culture française à la culture maure. J’ai écrit maraboutique au lieu de maure, parce que mon origine maraboutique m’a tout de même valu certaines lacunes sur le plan artistique.
Peut-être que lors de mes traductions, on comprendra tout sauf ce que l’auteur a voulu dire, mais cela ouvre plein de perspectives, de voies de compréhension directe ou détournée.
D’une façon générale, je trouve que les traducteurs dans le monde n’ont pas reçu la reconnaissance méritée. Ils effectuent un travail formidable qui mérite respect et admiration. Les traductions de roman par exemple sont si bien faites que je me demande si la traduction n’est pas plus belle que l’original. Je n’imagine pas que l’auteur puisse faire mieux que le traducteur et pourtant, on ne retient que le nom de l’auteur. Les traducteurs végètent dans l’ombre, inconnus et non reconnus. Et je trouve cela fort injuste.
J’ai l’intention d’en faire un recueil et l’idée a même germé de faire un recueil de poésie maure en français, quitte à ajouter, à la fin du document par exemple, les poèmes écrits en lettres arabes, pour ceux qui peuvent le lire et qui voudraient voir le poème original.
Horizons, août 2023

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