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2019-2023 : Quatre ans de « recyclage »

Le 1er Août 2023, le président Ghazwani va boucler ses quatre premières années à la tête du pays. Le principal parti de la majorité présidentielle, l’INSAF (l’Équité), entend marquer l’évènement par des festivités, tant à Nouakchott qu’à l’intérieur du pays, autour de manifestations à caractère politique, économique et social.

Une façon d’évaluer l’action du président de la République et les résultats de ses engagements électoraux de 2019, afin de mieux se projeter dans la perspective de la prochaine présidentielle qui se tiendra en 2024. Quoiqu’en dira l’INSAF par la voix de ses principaux laudateurs, les quatre années du président Ghazwani n’ont pas apporté les grands changements tant attendus par les Mauritaniens.

On aurait à cet égard souhaité que le parti du pouvoir présente un livre blanc listant les fameuses réalisations dont nous vantent tant les media publics.

En arrivant à la tête du pays, le président Ghazwani était attendu sur un certain nombre de questions. Au-delà de la « normalisation » des rapports entre le pouvoir et l’opposition à propos de laquelle il peut se vanter d’avoir dompté la classe politique, en faisant miroiter l’idée d’un dialogue inclusif constructif, on l’espérait décisif dans la lutte contre la gabegie qui ne cesse de gangrener le pays.

Une minorité de mauritaniens s’enrichissait sur le dos de l’écrasante majorité et la tâche n’était pas facile, il faut le reconnaître à sa décharge. Comme en témoignent les châteaux, palais et les bolides qui circulent dans les quartiers huppés de TevraghZeïna[p1] .

Où sont nos richesses nationales ?

National ou hôte étranger, nul ne peut éluder la question d’où proviennent ces richesses qui contrastent si violemment avec l’omniprésence, en dehors de cette zone dorée, d’une pauvreté criante. Le gouvernement se vante d’avoir pris en charge cent mille ménages par l’assurance-maladie et les transferts-cashs qui n’incitent, aux yeux de certains, qu’à la paresse.

Les milliards de Taazour sont épinglés par des organisations de la Société civile et certains mauritaniens, alors que le gouvernement reconnaît l’incapacité de ses institutions à absorber les financements extérieurs et des lenteurs préjudiciables dans l’exécution des engagements du président Ghazwani, obligeant le gouvernement à mettre en place un comité de suivi.

C’est dire, sans risque de se tromper, que les profits tirés de l’exploitation des ressources du pays sont toujours pillés à grande échelle ; à tout le moins très mal répartis entre les citoyens de ce pays gangrené par une impunité garantie par le tribalisme, le clientélisme, le népotisme et le régionalisme. Les marchés publics sont devenus le moyen le plus rapide pour s’enrichir.

La commission parlementaire mise en place par l’Assemblée nationale en 2020 a révélé dix années de rapines tous azimuts. Depuis, les Mauritaniens attendent des comptes :à quand le recouvrement de leurs milliards dérobés et planqués dans des banques, ici et ailleurs, ainsi que de l’immense patrimoine mobilier et foncier détourné ?

Leur attente risque d’être d’autant plus grandement déçue que la liste des présumés voleurs et complices s’est fortement réduite : seuls l’ex-Président et quelques-uns de ses collaborateurs et proches sont traduits devant la justice. Ils ont beau jeu de se présenter ainsi en « victimes » de « règlement de comptes », alors que se pavanent toujours tant d’autres.

L’impunité semble donc avoir encore de beaux jours devant elle… Et ne peut que perdurer dans la mesure où certains pilleurs d’hier sont recyclés et remis sur orbite. Bien huilé depuis des lustres, le système d’accaparement des ressources du pays paraît beaucoup plus fort que la volonté qu’affichait le candidat Ghazwani lors de son discours en Mars 2019.

Qu’est devenue la lueur d’espoir qu’il avait alors fait naître chez les Mauritaniens, surtout ceux qui étaient victimes d’injustice et de discrimination ?

Et l’unité nationale ?

Autre dossier sur lequel le président-marabout était attendu : l’unité nationale fortement ébranlée depuis les évènements de 1989, avec leur cortège de morts et d’exilés au Sénégal, au Mali et sur d’autres continents.

Un quart de siècle après les faits, les ayants droit courent encore derrière la réparation de crimes de sang toujours non élucidés. Après la décision « cosmétique » et à visée électoraliste d’Ould Abdel Aziz en Mars 2009, les tentatives de règlement définitif dudit dossier « passif humanitaire » sont jugées beaucoup trop « timides » par les organisations des victimes et de défense des ayants droit.

L’INSAF et le gouvernement ont beau gloser sur l’unité nationale, il leur manque une vraie détermination à régler ce dossier et, partant, gommer toutes les méfiances afin de garantir une « cohabitation harmonieuse » entre toutes les communautés mauritaniennes. Certains se plaisent à dire que les Mauritaniens vivent à côté les uns des autres.

D’autres s’en lamentent… La conception de la dernière réforme du système éducatif – et donc de la place des langues nationales pulaar, soninké et wolof – a révélé combien les divergences sont grandes – pour ne pas dire abyssales – entre les locuteurs de ses langues et le gouvernement. Dans ce pays hélas, dénoncer certaines discriminations et injustices, c’est invariablement s’exposer à être taxé d’extrémisme ou de « racisme».

Avec quelle opposition pour faire avancer ces dossiers ?

Ould Ghazwani a donc fini de boucler quatre ans à la tête du pays ; quatre années fortement polluées par les ennuis judiciaires de l’ex-Président Ould Abdel Aziz. Il aura fallu l’évasion de terroristes jihadistes, il y a quelques mois, puis les élections locales pour déplacer un tant soit peu le curseur.

Après avoir réussi à établir des relations apaisées avec une partie de l’opposition traditionnelle, l’actuel Raïs l’a amenée à des élections « concertées » qui se sont avérées catastrophiques pour certains partis, contraints en conséquence à dénoncer « une mascarade électorale ».

Se feront-ils prendre une seconde fois lors de la prochaine présidentielle ? Ils ont du pain sur la planche pour l’éviter et cela leur demande une profonde remise en cause. Individuellement, avant de pouvoir espérer s’y appliquer tous ensemble. Et redonner aux citoyens ainsi espoir en la démocratie…

Dalay Lam

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