ActualitéMauritanie

Des points clés pour la compréhension et pour l’histoire… concernant le dossier du laboratoire « classé »

Je présente ces points sous forme de compilation et de synthèse d’informations à l’intention du public pour éclairer ceux qui les ignoraient, pour rappeler celles qu’avaient oubliées certaines circonstances, et pour les garder dans les réseaux sociaux, car un jour pourrait venir où nous en aurions besoin.

Ayant suivi les écrits publiés sur le sujet au cours des dernières heures, j’ai constaté que le besoin était pressant de communiquer sur ce sujet ; j’ai donc décidé de partager avec vous ma part des informations et commentaires comme suit:

– Premièrement : Le parquet ne prononce ni relaxe ni condamnation ; il met en mouvement l’action publique en accusant ou il classe la procédure. L’accusation est ensuite confirmée ou rejetée par le juge du siège, tandis que le classement peut être révoqué par le parquet lui-même ou par une autre autorité (je n’entends pas m’étendre sur ce point).

– Deuxièmement : Le parquet est placé sous l’autorité directe du pouvoir exécutif, par le biais du ministre de la Justice. Ainsi, ce qui émane de lui constitue, dans l’une de ses significations, une « décision exécutive » et, dans toutes, il est très éloigné d’un « jugement judiciaire ».

– Troisièmement : Le communiqué du parquet a révélé sans la moindre ambiguïté qu’il s’est fondé, pour décider du « classement sans suite de l’action publique », sur « l’enquête administrative et technique » menée par la Direction Générale de la Sûreté nationale – enquête dont la réalisation a pris près d’une année complète (période comprise entre l’annonce de son ouverture le 18 décembre 2024 et la déclaration du ministre de l’Intérieur annonçant son achèvement le 4 décembre 2025) – au lieu de s’appuyer sur une enquête judiciaire bénéficiant d’un certain degré d’indépendance. Dès lors qu’il s’est appuyé sur cette enquête, il était évident que sa décision serait celle-ci.

– Quatrièmement : Le parquet a repris dans son communiqué, en citant l’enquête administrative et technique menée par la Direction Générale de la Sûreté, que « l’ensemble des obligations contractuelles prévues ont été honorées de la manière requise, que les diverses prestations objet du marché ont été réalisées conformément aux stipulations convenues », qu’aucune « perte susceptible de porter atteinte à l’intérêt général » n’a été constatée, et qu’aucune « implication potentielle d’une entité ou d’un élément relevant de la police (soulignez : élément relevant de la police) dans les allégations soulevées autour du marché » n’a été relevée. Cela étant, pourquoi l’enquête a-t-elle été transmise au parquet à l’origine ? Et puisque le parquet allait s’appuyer sur elle pour rendre sa décision, pourquoi l’a-t-il ensuite renvoyée à la brigade des crimes économiques et financiers ?

– Cinquièmement : À la lumière du point précédent, il était évident que la décision du parquet serait le « classement sans suite de l’action publique », puisque « les procès-verbaux dressés ne contenaient aucun fait constitutif d’infractions prévues et réprimées par la loi » (il semble qu’un empressement ait conduit le parquet à opérer un « échange » souple entre date et numérotation dans son communiqué classant l’affaire – voir l’image).

– Sixièmement : La société turque ayant réalisé le laboratoire a affirmé que son coût total ne dépassait pas 4 millions d’euros (dont 2,3 millions pour la construction du laboratoire proprement dite, le reste couvrant la formation, le suivi et la maintenance pendant deux ans). En revanche, la page Facebook de la police mauritanienne (voir l’image) a indiqué que le coût du laboratoire dépassait 6,5 millions d’euros, tandis que la page Facebook du ministère de l’Intérieur (voir l’image) – plus catégorique apparemment – a déclaré qu’il dépassait 6 millions d’euros sans préciser l’ampleur du dépassement. (Si l’écart n’est que de 0,5 million d’euros selon les publications de la police et du ministère, cela représente plus de 200 millions d’ouguiyas ; s’il atteint 2,5 millions d’euros, l’écart bondit à un milliard d’ouguiyas. Combien de projets pourrait-on réaliser avec de telles sommes ?)

– Septièmement : L’élément le plus grave dans cette affaire est que la société turque affirme que les logiciels installés dans le laboratoire « ne sont ni originaux ni licenciés » (en d’autres termes : piratés), et qu’elle confirme l’opposition exprimée à l’époque par le directeur de la police technique et scientifique, le commissaire de police Mohamed Dahi Issah, sans que celui-ci ait pu l’empêcher.

– Huitièmement : Des intermédiaires impliqués dans le marché ont perçu des sommes importantes. L’organisation Transparency Inclusive a produit des relevés bancaires et des preuves de transferts via des bureaux de change qui l’attestent, et a proposé ces documents à la commission d’enquête policière ; celle-ci, paradoxalement, a refusé de les recevoir. Il semble que le parquet n’ait pas souhaité – ou qu’on ne lui ait pas permis – d’en prendre connaissance. Je suis convaincu que le président de l’organisation, Mohamed Ould Ghadde, était prêt à transmettre au parquet l’intégralité des éléments en sa possession s’il en avait été requis ou s’il avait été convoqué pour déposer. Indépendamment de la conformité légale de cette intermédiation, la question qui s’impose est la suivante : pour le compte de quelle partie ces intermédiaires agissaient-ils ? Étaient-ils mandatés par la société turque pour faciliter ses démarches auprès des autorités mauritaniennes ? Ou par les autorités mauritaniennes pour faciliter les opérations de la société turque ? Quel est le fondement juridique de cette activité dans l’un ou l’autre cas ? Et l’État a-t-il perçu les impôts dus sur ces montants importants ?

– Neuvièmement : Celui qui revient aux origines du dossier et à la manière dont il a été monté ne sera absolument pas surpris par la façon dont il a été clos, et ne le sera pas davantage demain si ce dossier – ou un autre – est réactivé, totalement ou partiellement, selon les besoins.

– Dixième et dernier point : En novembre 2010, j’ai participé à une conférence sur le journalisme d’investigation à Amman, capitale jordanienne. Lors d’une session de débat à laquelle assistaient plusieurs grands journalistes d’investigation du monde entier – parmi lesquels le célèbre journaliste britannique Stephen Sackur, le journaliste égyptien bien connu Yosri Fouda et d’autres –, nous avons eu l’occasion de poser nos questions et nos préoccupations.

J’ai pu leur en adresser plusieurs, dont celle-ci : nous publions parfois des enquêtes journalistiques solidement documentées, avec des irrégularités dûment établies, et pourtant rien n’en résulte ; cela peut nous décourager de poursuivre ce travail, tant il paraît inutile dans un pays comme le nôtre.

Plusieurs d’entre eux ont répondu de manière variée, mais tous convergèrent sur l’essentiel : l’enquête finira par porter ses fruits, même à retardement, et elle contribuera à construire une « mémoire » dans le domaine de la corruption pour un « peuple sans mémoire ».

En conclusion : Toutes nos félicitations à notre pays pour avoir accompli un exploit inédit à l’échelle mondiale : reconnaître, du sommet à la base, l’ampleur et la gravité de la corruption, la nécessité de la combattre, tout en veillant – depuis son sommet – à ce que cette corruption soit « sans corrupteurs ».

Ahmedou Med Moustapha
Journaliste à Alakhbar

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page