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Le Maghreb et le Sahel: quel partenariat?/ Seyid Ould Abah

Les anciens relais et les ponts du commerce transsaharien sont devenus aujourd'hui des foyers de tension dans la région, ce qui a fait le lit des mouvements radicaux Ce qui se joue aujourd'hui, c’est la pérennité même du modèle de l'État sahélien, lourdement affecté par la montée en puissance des milices armées

Le forum d’Asilah, au Maroc, supervisé par l’ancien ministre des Affaires étrangères Mohamed Benaïssa, vient de consacrer son premier colloque de l’année en cours aux enjeux géopolitiques au Sahel et au Maghreb, deux zones voisines liées par la géographie, l’histoire et un certain nombre de défis communs.

Le deux termes de «Maghreb» et de «Sahel», au-delà de leurs traces sémantiques spécifiques, sont le fruit d’une typologie coloniale qui s’est supplantée à la notion d’«Occident musulman», en usage dans la tradition arabe classique.

Cette dernière notion désignait les deux espaces sahariens et soudanais, de Fezzan et Kairouan à Tombouctou et, au-delà d’elle, jusqu’au Darfour, en passant par les contrées célèbres que furent les ports de l’axe commercial transsaharien comme Touat, Sijilmassa, la vallée du Drâa, Chinguetti, Ouadane, Tichitt et Oualata. Les empires du Ghana, du Mali, de Sokoto et songhaï ainsi que les royaumes de Fouta-Toro, du Cayor et du Djolof, en connexion étroite avec les royaumes et empires almoravide, saadien et alaouite du Nord, furent des relais importants dans la partie méridionale de cet espace.

L’ancien président sénégalais Senghor, l’un des premiers chantres de la négritude, disait souvent que la ligne de démarcation entre les deux Afriques – celle de l’Ouest et celle du Nord –, création de l’ethnographie coloniale, était fictive.

Le brassage séculaire, multiforme et profond entre les différentes communautés qui se partagent ce vaste espace contredit de façon objective les schèmes coloniaux qui ont introduit les notions identitaires fermes et exclusivistes dans l’imaginaire des populations locales.

D’éminents anthropologues et autres historiens africanistes ont déconstruit la notion de «tribu africaine», conçue comme une identité ethnique ou raciale, sur la base de paramètres de langage ou de traits physiques. Achille Mbembe remarque à juste titre que cette conception figée et essentialiste de l’identité s’oppose au concept de «l’identité en mouvement» à l’œuvre dans les «métaphysiques africaines».

La technologie de domination coloniale dans le grand espace saharo-soudanais (Maghreb et Sahel) s’est constituée sur une logique de partage identitaire ethnique au détriment des zones d’interférence et de connexion entre les deux rives de cet espace commun.

C’est ainsi que les anciens relais et les ponts du commerce transsaharien sont devenus aujourd’hui des foyers de tension dans la région, ce qui a fait le lit des mouvements radicaux. Ces derniers ont instrumentalisé les enjeux identitaires locaux liés aux défaillances de gouvernance publique dans des dynamiques de violence terroriste nihiliste.

Ce qui se joue aujourd’hui, c’est la pérennité même du modèle de l’État sahélien, lourdement affecté par la militarisation de la vie politique et la montée en puissance des milices armées. Bien que ce phénomène paraisse se limiter au contexte sahélien circonscrit, il affecte néanmoins la zone maghrébine organiquement liée à la bande du Sahel.

La situation politique alarmante de la Libye illustre clairement l’impact structurel de la crise sahélienne sur la sécurité et la stabilité du Maghreb.
Les facteurs et les symptômes de cette crise sont multiples. Nous nous limitons ici à l’un de ses aspects majeurs, relatif à l’érosion des espaces d’acculturation et de brassage entre les différentes composantes communautaires des sociétés maghrébine et sahélienne.

Il s’agit notamment ici des entités médianes qui ont assuré par le passé un rôle de catalyseur de solidarité et d’intégration entre les populations riveraines du Sahara et les lacs du Sénégal, du Niger et de Tchad, qui sont le prolongement, la continué et l’espace vital du Maghreb.

Les penchants séparatistes portés par quelques mouvements rebelles dans cette zone médiane, les problèmes de cohabitation intercommunautaires soulignés dans des contextes locaux ainsi que la régression calamiteuse des échanges économiques et commerciaux multiséculaires qui ont façonné depuis le Moyen Âge l’espace d’intégration sahelo-maghrébine sont des signes palpables de cette crise profonde qui paralyse les chaînes de connexion et d’intégration entre le Sahel et le Maghreb.

Le colloque d’Asilah constitue un effort louable dans cette perspective de restauration et de consolidation des liens organiques entre le Maghreb et le Sahel. En questionnant les enjeux et les modalités de partenariat entre ces deux zones, il a posé des jalons préliminaires sur la voie de la reconfiguration géopolitique future du Nord-Ouest africain.

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