Personne n’évoque la responsabilité constitutionnelle des Premiers ministres / Par Béchir Fall, juriste
Béchir Fall – Pourtant, les Premiers ministres sont des acteurs décisifs de la politique générale de l’État. La constitution est à cet égard formelle.
« Le Premier ministre définit, sous l’autorité du Président de la République, la politique du Gouvernement. Il répartit les tâches entre les ministres. Il dirige et coordonne l’action du Gouvernement et dispose à cet effet de l’administration et de la force armée. »
Par ailleurs selon toujours la constitution, « le Premier ministre est, solidairement avec les ministres, responsable devant l’Assemblée Nationale. La mise en jeu de la responsabilité politique résulte de la question de confiance ou de la motion de censure. »
Dois-je aussi rappeler qu’aux termes de la constitution « le Premier ministre veille à la publication et (surtout) à l’exécution des lois et règlements de la République ».Ces lignes ont-elles jamais été lues par les différents PM ? J’en douterais toujours. Pourquoi certains PM mis en cause et même inculpés dans une présumée violation répétée des textes n’auraient-ils pas pris connaissance, au départ, de leur responsabilité vis-à-vis des obligations constitutionnelles qui leur incombent ? Personne ne pose cette exigence juridique. Toutes les critiques sont concentrées sur la personne de l’ancien raïs. Pourquoi pas les PM qui sont, en vertu de la constitution, des acteurs clés du bicéphalisme qui caractérise nos institutions ?
Dès que le Président de la République définit ses grandes orientations et fixe ses options, les PM doivent mettre tout son programme en œuvre. On voit bien que le succès de la politique du Président dépend grandement de leur capacité à se rendre à la fois dynamiques et efficaces sur le terrain pour coordonner toute l’action gouvernementale. On ne peut pas dire que les Premiers ministres, depuis 2009, aient été de bons chefs d’orchestre. Au contraire ! En témoigne l’accumulation des déboires ci-après : un défaut d’investissement social flagrant, une école publique à la traîne avec des résultats scolaires catastrophiques, une politique de santé qui ne s’améliore guère, des produits halieutiques laissés aux navires étrangers et le poisson devenu rare, extrêmement cher et inaccessible aux citoyens. Sans parler de la flambée des prix, cette année, atteignant des sommets paroxystiques. La Bérézina, en somme, sur tous les plans économiques et sociaux.
Revenons au type de gouvernance de la dernière décennie. L’ancien président ne semblait pas porter dans son cœur les juristes. Sans doute, les considère-t-il comme des empêcheurs de tourner en rond en prévision de la présumée entreprise machiavélique projetée. Je n’en avais pas remarqué dans ses gouvernements successifs. Excepté le ministre de la Justice. Qui a fini par démissionner. Mais, des ingénieurs et des universitaires matheux, souvent peu au fait de la chose publique, ont reçu grâce à ses yeux. Les conséquences ont été dramatiques et jamais le niveau de la corruption et des détournements des deniers publics n’ont été si massifs, en référence au document de la commission d’enquête parlementaire. En d’autres termes, un recours abusif aux ingénieurs et matheux et une chasse implicite aux juristes ont généré les pires gouvernements de la République.
Et, jusqu’à présent, je ne vois pas des juristes chevronnés et réputés dans le gouvernement actuel. C’est du jamais vu ! À mon avis, quelques juristes, dont le talent est de commune renommé, auraient pu être utiles pour rappeler souvent certains principes de droit, notamment pendant les séances des conseils de ministres, et ainsi éviter les nombreux dérapages qui ont marqué la décennie passée. Et qui risqueraient de se répéter si l’on n’y prend garde. Pour le moment, c’est « l’arbre qui cache la forêt ». Laquelle pourrait nous révéler d’autres dérapages dans le futur.
Est-il besoin de faire de l’histoire comparée pour admettre que les gouvernements des grands pays sont majoritairement dirigés par des juristes. Et dans les pays où la démocratie est la mieux appliquée, USA et pays européens, les Chefs d’Etat et de Gouvernement sont très souvent des juristes ou des économistes. Notre pays, la Mauritanie, semble faire exception à la règle.
Je rappelle que les PM ne bénéficient d’aucune immunité pendant l’exercice de leur fonction. Et sont pleinement responsables de leurs actes. L’idée de recevoir de prétendues instructions de la part du Président de la République ne les absout jamais. Étant tenus par la constitution de « veiller à l’exécution des lois et règlements », les PM ne sont pas fondés à invoquer une quelconque excuse ou des circonstances atténuantes vis-à-vis d’instructions ou d’ordres venant du chef de l’État susceptibles de violer les lois et règlements. Dans aucune république digne du nom, un PM n’ose se prévaloir d’instructions du chef de l’État pour justifier une mesure illégale.
Les prescriptions de la constitution concernant les PM sont nettement au-dessus du Chef de l’État. Mais en sont-ils conscients ? Je ne crois pas. N’ayant aucune compétence juridique dans la gouvernance publique, ils ne paraissent pas apprécier le poids de leur responsabilité. Ceux de la dernière décennie auraient dû mettre plutôt leur démission sur la table au lieu de déférer aux instructions présumées illégales du Chef de l’État. Ils sont dès lors directement fautifs, en cas d’application d’instructions jugées illégales, pour violation aux règles législatives et réglementaires auxquelles ils sont tenus de veiller, aux termes de l’article 43 de la constitution.
Par Béchir Fall, juriste, expert international en stratégies sociales