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Afghanistan, Sahel : double défaite contre l’islamisme

Les Échos – La France met fin à l’opération Barkhane, les Etats-Unis se retirent d’Afghanistan. Une double défaite, malgré des opérations militaires longues et difficiles dans les deux cas, qui laisse la porte ouverte aux pires dérives, écrit Eric Le Boucher.

Coïncidence alarmante : Joe Biden a décidé de rapatrier les troupes américaines d’Afghanistan au 11 septembre 2021 au risque de laisser le champ libre aux talibans ; Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane au Sahel au risque d’une recrudescence du djihadisme.

Les deux plus puissantes armées du monde, l’américaine et la française, sont restées engagées sur place dans les opérations militaires les plus longues depuis la Seconde Guerre mondiale : elles ont été très valeureuses, on compte 2.400 GI tués et 50 militaires français.

Mais, dans les montagnes immenses et les déserts sans fin, elles n’ont pas gagné contre quelques milliers de fous de Dieu montés sur des pick-up. Le relais est aujourd’hui passé aux gouvernements locaux, que l’on sait par avance fragiles, corrompus et divisés, et au maintien d’opérations des forces spéciales, stratégie « à la Mossad » pour couper les têtes de chefs, sachant pertinemment qu’elles repoussent.

Triste constat d’échec. L’Afghanistan risque de redevenir un émirat taliban, et l’immense région du Sahel, depuis la Mauritanie jusqu’au Tchad, risque d’être une bouilloire du terrorisme, menaçant d’attentats et d’invasion les Etats au Sud, depuis le Sénégal jusqu’à la Centrafrique.

Voir partir les étrangers

Ni à Kaboul, ni à Bamako, ni à Niamey, l’Occident n’a su construire un Etat capable d’assurer une économie bien répartie et apte à se défendre. Le « state building » ne marche pas, malgré des efforts financiers considérables et le soutien à des ONG nombreuses et non moins admirables.

Malgré aussi les leçons tirées des échecs précédents des protectorats installés plus ou moins sous l’égide de l’ONU. Ces interventions très coûteuses restent bénéfiques pour les populations à qui fut donné l’accès aux soins et à l’école.

Mais elles ont buté sur une impuissance à changer les pratiques de gouvernement dans des régions qui n’ont pas pour tradition de parler de pays, de nation et d’Etat, mais de villages, de tribus et de vallées, sans compter au Sahel la lutte millénaire entre les nomades et les sédentaires. Elles ont buté aussi sur un retournement : à leur arrivée, les troupes occidentales ont été bien accueillies, comme une libération du joug imposé par des islamistes aux lois archaïques. Il était au début possible de conquérir « les coeurs et les esprits » en plus des territoires.

Mais à la longue, la présence de militaires d’occupation devient antipathique et il faut compter avec le paradoxe qui n’est qu’apparent que l’école renforce l’autonomie des enfants et leur désir de voir partir les étrangers.

| ANALYSE – Barkhane ou l’enlisement de la France en Afrique

Au Mali, après trois coups d’Etat en trente ans, la tentation des colonels putschistes est de remettre en cause la démocratie elle-même. La confusion des partis politiques locaux est telle que les modèles autarciques chinois ou russe sont regardés comme attirants. On voit un parti socialiste malien qui trouverait malin de faire venir des mercenaires russes contre les terroristes, avec l’encouragement très intéressé du Kremlin.

Pékin et Moscou sont évidemment prêts à prendre la place vide. Une glissade vers du pire n’est donc pas à exclure avec tous les risques d’immigrations massives dans les pays africains au Sud et en Europe que déclencherait la chute de ces régions dans l’abîme.

Lutte contre le terrorisme Les puissances occidentales sont-elles au bout de leurs engagements ? Il ne faudrait pas en tirer du découragement. Renoncer est laisser se préparer des attentats là-bas et ici. Il reste d’abord beaucoup à faire pour soutenir et former les armées locales, en particulier celles des pays côtiers en Afrique.

L’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), qui vient de s’ouvrir à Jacqueville en Côte d’ivoire, est un exemple à multiplier. Il reste surtout beaucoup à faire pour enfin convaincre les Européens aveugles que leur liberté se décide là-bas. La France seule n’en peut plus.

L’aide au développement économique est l’autre versant. Elle a su s’adapter, contourner autant que faire ce peut les gouvernements corrompus et viser directement les publics concernés. Mais l’opération est délicate, car cette politique, on l’a vu à Kaboul, a un effet secondaire néfaste de déligitimisation des autorités instituées.

Le travail militaire, le travail économique et le travail politique doivent être poursuivis sur des bases d’une réalité incroyablement complexe et ingrate. Il n’y a plus de doctrine, il n’y a que la détermination. La lutte contre le terrorisme dans ces régions comme ailleurs est l’enjeu du siècle, très difficile mais existentiel.

Eric Le Boucher est éditorialiste aux « Echos ».

Eric Le Boucher

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