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Des choses et des êtres : Mauritanie ou l’Etat féodal moderne. Par Pr ELY Mustapha.

Pr ELY Mustapha – Le constat est sans appel. L’Etat mauritanien et bien devenu une propriété privée. Pire, une propriété privée féodale. Tant au sens juridique, économique que social. L’Etat mauritanien est tout aujourd’hui l’incarnation d’un système où prévaut, de façon éclatante, le droit de seigneurie.

Ce droit dans lequel la possession porte aussi bien sur la « propriété animée » (les êtres) que sur la « propriété non-animée » (les biens). Aujourd’hui et eu égard à la gestion de l’Etat, il n’y a pas de dissociation entre les droits réels (régissant les choses) et les droits personnels (relatifs aux personnes.)

Du point de vue juridique, la distinction des « droits réels » et des « droits personnels » qui a permis de rompre avec la « féodalité », dans l’histoire des civilisations modernes, ne semble pas avoir été appliquée en Mauritanie.

L’Etat a créé un système féodal tout-à-fait original qui, tout en continuant à faire la confusion entre les êtres et les choses, entre les hommes et les biens, l’inscrit dans une perspective… d’Etat moderne.

Le système féodal de l’Etat mauritanien, mettant à contribution un tribalisme exacerbé, terroir du féodalisme, se caractérise par la confusion du bien matériel avec la personne qui rend celle-ci « utile » ou « rentable » pour son seigneur-propriétaire.

Ici le détenteur du pouvoir. Du point de vue économique, c’est l’exploitation de tout au profit de la classe dominante ; celle qui détient les rênes du pouvoir. Dans un tel système économique, un bien qui n’est pas exploité n’a pas de valeur.

Tout est mis à contribution pour que le bien, confondu avec l’être exploité (féodalisme cité), rapporte quelque chose : une rente, un travail, un produit, ou de l’argent. Mais cette exploitation peut aussi viser l’acquisition par le seigneur de services qui lui permettront de continuer l’asservissement de l’être exploité.

Le coefficient tribal

En Mauritanie le coefficient social ayant été depuis longtemps remplacé par un « coefficient tribal », celui-ci va servir à déterminer le degré d’exploitation féodal.

Rappelons que dans les sociétés modernes dans lesquelles les individus disposent de revenus et contribuent aux charges de l’Etat, le coefficient social est obtenu en divisant le revenu fiscal déclaré par le nombre de parts attribuées au ménage.

En Mauritanie, le coefficient tribal est obtenu en divisant le nombre de voix tribales par le score attendu aux prochaines élections (soit le nombre de voix obtenues). D’ailleurs toutes les nominations-clefs et tous les postes-clefs (et souvent juteux) sont attribués en perspective de ce score attendu sur le temps des échéances électorales à court moyen ou long terme (municipales, régionales, législatives, présidentielles…)

Le quotient tribal est calculé en fonction du poids électoral tribal qui résulte du rapport entre le nombre de voix au sein de la tribu, soit des membres figurant sur les listes électorales , et le Score électoral attendu.

Quotient tribal = Nombre de voix de la tribu (inscrits-votants) /Score électoral attendu.

Plus ce coefficient est élevé, plus le paysage politique s’en ressent avec les privilèges attribués à certaines tribus (nominations, attributions de biens et de privilèges, passe-droits etc…). Et lorsque ce coefficient devient négatif, le système politique réagit en privilégiant d’autres factions tribales dans son système d’allocation des ressources et de prébendes.

C’est autant dire que le système de gouvernance (politique, économique, financier, social) est totalement déterminé par ce coefficient tribal.

L’actuel régime politique fonde toute sa gouvernance sur ce coefficient tribal qui constitue l’indicateur premier de son comportement.

Cette féodalité moderne, puisque mesurée et réfléchie, est d’autant plus dangereuse, qu’elle fait revêtir à ses actes l’aspect du droit alors qu’elle ne fait que l’instrumentaliser pour infester davantage la sphère de l’Etat et continuer à maintenir la société dans le système féodal décrit plus haut.

Ce coefficient est raffermi par un terroir religieux propice faisant l’apologie du tribalisme et l’organisation de la société mauritanienne en classes supérieures et classes inférieures, qui ne seraient même pas devant Allah, égales.

Rappelons le refus de l’Imam de la mosquée saoudienne, Habibou Errahman, d’aller prier sur la dépouille du célèbre griot Sidaty ould Abbe (Voir mon article « Je suis un griot » : https://cridem.org/C_Info.php?article=728319 ), et la vendetta qui s’est déclenchée contre ould Mkheitir , du fait de son statut de forgeron , alors qu’il n’aurait jamais été inquiété s’il n’était pas de cette caste-là.

Et les exemples peuvent être multipliés sur l’impunité de membres de tribus ou de partis politiques influents qui n’ont subi aucune exaction du fait de leur blasphèmes, viol, vols et autres crimes publics…

Alors, si aujourd’hui les réseaux sociaux dénoncent et se soulèvent contre le « remplissage » de la fonction publique et des postes-clefs de l’Etat (en Mauritanie et à l’étranger) de ramassis de médiocres et autres « traine-la-savate », inconnus jusque-là, c’est que l’Etat dans sa féodalité qu’il ne dissimule plus, fait fi de toute raison sociale et économique au profit d’une gestion d’un pays qu’il réalise à travers des gouvernants appuyés sur le commerce et la force des armes, qui considèrent que le pays est leur propriété privée et qu’ils possèdent sa population, quatre millions de serfs et d’esclaves, corps et âme.

La Mauritanie avec une industrie (extractive) qui ne la modernise pas, un commerce oligarchique stérile, est sans contexte, dans une ère préindustrielle corrompue. Corrompue par un Etat qui n’existe que par la féodalité. L’injustice et la servitude.

Pr ELY Mustapha

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