Les recettes de la Mauritanie pour échapper au terrorisme

Mondafrique — Contrairement aux autres pays du Sahel, en particulier à son voisin malien, la Mauritanie échappe au terrorisme depuis 2011. Sa baguette magique ? Un dialogue fructueux entre les autorités religieuses et des jeunes extrémistes tentés par le djihad. C’est l’une des explications données par deux colonels, l’un français, l’autre mauritanien, dans « Victoire dans les dunes » (*).
Par Ian Hamel, de retour de Mauritanie
C’est un ouvrage très dense, passé pratiquement inaperçu l’année dernière. C’est d’autant plus surprenant à un moment où l’armée française quittait piteusement le Sahel. Les auteurs, deux colonels, dont l’un a été l’aide de camp des quatre derniers présidents de la République islamique de Mauritanie, racontent comment ce grand pays d’un million de km2, mais vide d’habitants (quatre millions d’âmes) a réussi à triompher depuis quatorze années dans sa lutte contre des groupes armés redoutables.
La recette paraît presque trop simple : les autorités mauritaniennes ont ouvert en février 2010 un dialogue théologique et religieux entre des imams, des érudits, et des prisonniers salafistes membres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Les jeunes djihadistes ont d’abord refusé de rencontrer des oulémas liés aux autorités, et donc taxés de partialité. Mais ils ont changé d’avis quand une délégation ministérielle, conduite par le ministre des Affaires islamiques, accompagnée d’une vingtaine d’imams et d’érudits, s’est rendue dans la prison de Nouakchott.
Parmi eux, « la présence [du] Cheikh Mohamed El-hacen Ould Dedew, est particulièrement importante, tant cet érudit jouissait d’un grand respect au sein de la nébuleuse islamiste tous courants confondus », écrivent les auteurs de « Victoire dans les dunes ». En septembre 2010, à la veille du mois de ramadan, le président mauritanien décide de faire grâce à 35 jeunes djihadistes, quinze déjà condamnés et vingt en détention préventive.
L’ancien mufti d’Al-Qaïda
Ces graciés s’engagent à se conformer à l’islam sunnite tolérant. Cette ouverture, largement couverte par les médias, doit montrer aux anciens membres d’AQMI qu’une porte de retour vers une vie “normale“ est possible.
L’exemple mauritanien peut-il servir de modèle dans d’autres pays, et notamment en France ? Il faudrait pour cela que les autorités comprennent que tous les salafistes, qui revendiquent un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane à l’époque du prophète Mahomet et de ses premiers disciples, ne sont pas tous des djihadistes. Ils peuvent être parfaitement pacifistes, ennemis du terrorisme.
Toutefois, la particularité de la Mauritanie, république islamique, est d’offrir une éducation religieuse d’une grande qualité. Ses madrasas jouissent d’une excellente réputation dans tout le monde musulman. « Les Mauritaniens eux-mêmes sont considérés comme plus proche de l’islam traditionnel rigoriste », rappelle l’ouvrage.
Résultat, le niveau d’études des oulémas dépasse de très loin celui des chefs d’AQMI, des guerriers souvent peu lettrés. Il faut rappeler que Mauritanien Mahfoudh Ould Elwaled, a été le mufti d’Al-Qaïda ! Mais hostile aux attentats du 11 septembre 2001, il a alors rompu avec l’organisation d’Oussama Ben Laden. Depuis, ce repenti vit paisiblement à Nouakchott.
Pas de racket des populations par l’armée
Bien évidemment, cette lutte victorieuse contre le terrorisme ne se limite pas à la conversion de quelques djihadistes. A l’indépendance, l’armée mauritanienne était dans un état déplorable. De mauvaises langues, selon Jeune Afrique, racontaient que les unités « avaient à peine assez d’essence pour garder les chèvres de leur colonel ».
Depuis, le pays s’est doté d’une vraie défense, l’une des rares capables (avec celle du Tchad) d’affronter les Groupes Armés Terroristes au Sahel. Elle s’est même permise de refuser d’être associée à l’opération Serval, et de ne participer que du bout des rangers militaires à l’opération Barkhane.
Et détail important : les soldats mauritaniens, qui reçoivent leurs payes (presque) régulièrement, protègent les populations, et ne les rackettent pas comme dans certains pays voisins.
Colonel Mokhtar Ould Boye et colonel Charles MIchel, « Victoire dans les dunes. L’enlisement de la crise sahélienne n’est pas inéluctable : l’exemple mauritanien », L’Harmattan, avril 2024.