De la victoire à la faute : chronique d’un oubli moral controversé à Abidjan

Le 29 mai 2025 à Abidjan, lors de l’élection du président de la Banque africaine de développement (BAD), un geste capté par les caméras a éclipsé l’annonce elle-même : une accolade appuyée entre un homme et une femme non mariés, visiblement portés par l’euphorie du moment. Derrière cette effusion de joie se profile pourtant un glissement plus profond : celui d’un oubli moral, d’une faille de cohérence entre les principes que l’on proclame et les comportements que l’on affiche.
Une République islamique n’est pas un slogan
En Mauritanie, la Constitution affirme avec clarté que l’islam est la religion de l’État et que la charia constitue la source du droit. Cela implique que nos comportements publics, en particulier ceux de nos élites et représentants, doivent refléter un minimum d’attachement aux normes islamiques. Il ne s’agit pas ici de puritanisme, mais de cohérence. Un représentant issu d’un État qui se réclame de l’islam, agissant dans une enceinte internationale, porte avec lui une responsabilité d’image : celle de faire honneur à la morale islamique, même et surtout dans les moments d’exaltation.
Or, cette accolade, bien qu’apparemment banale, transgresse un principe fondamental en islam : l’interdiction du contact physique entre hommes et femmes non mahram. Le Prophète Muhammad (paix et salut sur lui) a dit :
« Il est préférable pour l’un d’entre vous de se faire transpercer la tête par une aiguille de fer que de toucher une femme qui ne lui est pas permise. »
(Hadith authentique rapporté par Al-Tabarâni et jugé sahih par Al-Albâni)
Ce hadith ne fait pas exception pour les fêtes, les élections ou les cérémonies. Il rappelle une règle de décence intemporelle.
L’hypocrisie du double langage moral
Il est inquiétant de constater que certains justifient ce type de comportement sous prétexte qu’il s’agit d’un contexte international, « laïc » ou « neutre ». En d’autres termes : ce qui serait inacceptable à Nouakchott deviendrait soudainement excusable à Abidjan ou à Paris. Cette logique à deux vitesses trahit une forme d’hypocrisie dangereuse : celle qui habille d’islam les discours pour les urnes, tout en se dénudant de piété une fois à l’étranger.
Il faut ici poser la question avec franchise : jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans le compromis moral ? Est-ce cela, notre modèle de leadership : sacrifier la pudeur au nom du protocole ? Abandonner les principes pour les photos ? Mettre entre parenthèses la charia dès qu’il s’agit d’exalter sa victoire, d’exprimer sa joie ?
La scène publique comme champ d’exemplarité
Les gestes posés en public par des figures officielles ont un poids. Ils forgent les normes. Lorsque les dirigeants ou diplomates mauritaniens ou plus largement musulmans s’autorisent en toute décontraction des gestes proscrits par l’islam, ils normalisent ces transgressions. Pire : ils en font une vitrine.
Il ne s’agit pas ici de condamner les personnes, ni de faire la chasse à la moindre faute. Il s’agit de rappeler que la dignité du musulman ne réside pas dans l’imitation servile des habitudes occidentales, mais dans la capacité à affirmer sa foi avec fierté et élégance. La pudeur, la retenue, la fidélité aux valeurs ne sont pas des archaïsmes ; elles sont les marques d’un caractère noble.
Une victoire sans honneur n’est qu’un trophée vide
La réussite dans les institutions panafricaines, aussi prestigieuse soit-elle, ne doit jamais être l’occasion de s’affranchir des repères religieux. Un responsable peut exprimer sa joie sans enfreindre les règles de l’éthique islamique : un sourire, une parole digne, une tape sur l’épaule (pour un homme à un homme) ou un geste de la main suffisent.
C’est là toute la noblesse du musulman : se maîtriser dans l’abondance comme dans l’épreuve. La victoire véritable n’est pas dans la conquête d’un poste, mais dans la fidélité à Dieu lorsque le monde nous applaudit.
Les mouvements du temps ne sauraient ébranler l’éternité de la parole divine, pas plus que l’agitation des émotions ne saurait justifier la profanation de l’ordre sacré. Ce rappel s’impose avec d’autant plus de force que nos gestes publics sont devenus, à l’ère des caméras omniprésentes, des messages adressés au monde.
Conclusion : la piété comme boussole, même à Abidjan
L’accolade d’Abidjan n’est pas un simple fait divers protocolaire : elle incarne une fracture silencieuse, celle entre le discours de fidélité aux valeurs islamiques et la pratique réelle de nos élites. À force de relativiser, de « contextualiser » et de chercher des justifications à l’inacceptable, nous risquons de vider notre engagement religieux de toute substance. L’oubli moral commence souvent par de petits gestes banalisés ; il finit par devenir une norme. Si la victoire efface l’honneur, alors elle ne vaut guère mieux qu’une parure sans âme.
Il revient à chacun, et surtout à ceux qui nous représentent, de se rappeler que la foi n’est pas à suspendre aux portes des institutions internationales. Même à Abidjan, la pudeur reste un principe. Même dans l’euphorie, la morale reste un repère.
Par Cheikh Sidati Hamadi, Expert senior en droits des CDWD, essayiste, chercheur associé