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REPENSONS LA DIMENSION NUTRITION AU VUE DES NOUVELLES EVIDENCES ET NOUVEAUX CONCEPTS

Pr Cheikh Mohamed El Hafed Dehah

Il est encore difficile de décrire les mécanismes biologiques capables d’expliquer les effets très complexes de la nutrition sur la santé cependant, de nombreuses études épidémiologiques ont permis d’établir qu’une alimentation suffisante, équilibrée et diversifiée est indispensable à la croissance, au maintien de l’immunité, à la fertilité ou encore à un vieillissement réussi (performances cognitives, entretien de la masse musculaire, lutte contre les infections…).

Jusqu’à très récemment, le potentiel santé d’un aliment était défini par sa seule composition en nutriments. De fait, les aliments ont été trop longtemps considérés de manière simpliste, uniquement comme une somme de nutriments. Cela a mené à des recommandations nutritionnelles qui ne tenaient pas compte de l’effet “matrice” ni donc du degré de transformation et de déstructuration des aliments d’origine. Il n’est donc pas exagéré de dire que les maladies chroniques actuelles sont le fruit de cette pensée réductionniste qui a poussé les industriels à mettre massivement sur le marché des aliments fractionnés-recombinés ultratransformés, engendrant de nombreuses dérégulations métaboliques.

L’effet “matrice” pourrait être simplement défini comme il suit : à composition strictement identique mais avec des matrices différentes, deux aliments n’auront pas le même impact sur l’organisme et donc, à plus long terme, sur la santé.

La matrice d’un aliment est donc sa structure physique visible à l’œil nu et qui peut être caractérisée par des mesures physicochimiques (porosité, dureté, capacité à retenir l’eau…) ou rhéologiques (texture solide, semi-solide, liquide)

Par exemple, la matrice d’une pomme est plus ou moins ronde, solide, poreuse et constituée de cellules végétales entourées d’une membrane fibreuse et gorgée de sucres. Celle d’un yaourt est plutôt semi-solide, voire visqueuse, elle est le fruit d’une interaction complexe entre ses différents constituants (glucides, lipides, protéines, minéraux et vitamines).

De fait, l’effet “matrice” est un aspect essentiel du potentiel santé d’un aliment – l’aspect qualitatif de ce dernier en quelque sorte –, tandis que la composition participe à l’aspect quantitatif. Ces deux aspects doivent être pris en compte pour bien comprendre comment un aliment agit sur la santé

Beaucoup de résultats de recherche de haut niveau ont ainsi montré à quel point le paradigme “composition nutritionnelle” est insuffisant pour bien définir le potentiel santé d’un aliment car les vitesses ou cinétiques auxquelles sont libérés, dans le sang, les différents macro- et micronutriments ont un impact très significatif. Ainsi, les gros consommateurs réguliers de sucres “rapides” ajoutés, comme dans les produits ultratransformés, tels les sodas, sont plus à risque d’obésité et de diabète de type 2

Aussi, ne se préoccuper que de la composition nutritionnelle des aliments devient alors, une approche désuète. L’approche par nutriment est réductionniste, donc partielle, et ne peut aboutir à des résultats probants. A contrario, l’approche holistique par effet “matrice” peut aboutir à de meilleures recommandations nutritionnelles. Ce raisonnement a des implications considérables : si les matrices sont différentes, une calorie d’un aliment A n’aura pas le même effet santé qu’une calorie d’un aliment B car si les calories ne sont pas libérées de la même manière dans l’organisme, les effets métaboliques sont différents. Ainsi, les régimes alimentaires basés sur une approche essentiellement calorique (calories ingérées et calories dépensées) ne peuvent être que très limités dans leurs effets sur le poids à long terme.

Il ne sera donc pas possible de lutter efficacement contre le développement croissant des maladies chroniques en ayant une approche uniquement compositionnelle de l’aliment. Les campagnes de réduction du gras, du sucre, du cholestérol, etc., ont quasiment toutes échoué. Elles ont même parfois participé à aggraver la situation.

Il faut cesser de diaboliser lipides, glucides (ou sucres) en les isolant comme causes de l’épidémie d’obésité, par exemple, mais plutôt travailler autour de l’équilibre alimentaire. Bien sûr, une telle approche requiert une refonte radicale de la science de la nutrition humaine.

Les anciens concepts des sciences nutritionnelles et les approches traditionnelles qui réduisaient la malnutrition comme une simple finalité de l’insécurité alimentaire et la dimension nutrition comme une vulgaire appendice de la médecine ont perdu toute légitimité face aux maladies liées à la nutrition moderne : cancer, maladies cardiovasculaires, obésité, ostéoporose ou encore diabète de type 2 mais aussi, certaines maladies inflammatoires auto-immunes, comme la polyarthrite rhumatoïde ou les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin  (MICI), ou encore les allergies, la dépression, les troubles du sommeil, le déclin cognitif et la dégénérescence oculaire (DMLA, cataracte)…

De nombreux travaux ont démontré que l’absence de vitamine C dans l’alimentation humaine ne serait plus la seule cause de Scorbut, ni la seule carence en fer seule cause de l’anémie ferriprive, etc

Les études sont, en effet, de plus en plus nombreuses à souligner les effets de certains nutriments, sur la santé ou la maladie, mais sous certaines formes spécifiques (aliment/supplément) ou en combinaison avec d’autres nutriments, ce qui est généralement le cas dans notre alimentation. Il apparait, selon plusieurs auteurs, que c’est plutôt des sous-ensembles de facteurs ainsi que leurs interactions (effet matrice – interactions nutriments/nutriments – nutriments/médicaments) qui conduisent à tous ces effets négatifs sur la santé. D’où tous ces appels à reconsidérer la nutrition humaine dans un nouveau cadre, appelé » géométrie nutritionnelle » (nutritional geometry).

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