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M. Ould Abdel Aziz est-il libérable par la « morale » ? Quelques remarques sur certaines assertions du Pr Ely Moustapha

Depuis le déclenchement de la procédure d’enquête parlementaire puis judiciaire contre l’ancien Président Mohamed Ould Abdel Aziz, les thèses les plus inattendues et les plus paradoxales ont été développées par divers milieux et pour de multiples raisons, pour tenter de « sauver le soldat Aziz » de la justice de son pays.

La dernière tentative en date, séduisante, est de mon collègue et ami le Professeur Ely Moustapha, déclinée dans la phase ultime actuelle du procès en cours, celle des plaidoiries. Le connaissant personnellement, je ne puis penser qu’il poursuive cet objectif spécifique.

Mais une chose est sûre, les défenseurs de Oud Abdel Aziz trouveront dans ses démonstrations, une sorte de planche de salut pour tenter d’éviter le pire dans un procès pénal, à savoir, la convergence du Droit et de la Morale dans la condamnation des faits d’une cause.

Quoi qu’il puisse en penser, c’est bien pourtant à une plaidoirie judiciaire à laquelle il se livre en faveur de l’accusé M. Ould Abdel Aziz, dans un article d’une certaine subtilité démonstrative et dont l’intitulé a, au moins, le mérite de la clarté : « Du pénal et de la morale : voilà pourquoi Aziz doit-être libéré ».

Le fil conducteur de la thèse du Professeur Ely Moustapha est que le « cas Aziz » ne peut pas être abordé sous l’angle du droit, « dans l’optique procédurale de l’intervention du droit pénal, prise dans l’absolu, mais dans la justification même de son intervention » dit-il. C’est-à-dire la Morale. Toutes les preuves réunies de la culpabilité de l’ancien Président ne pourraient, d’après lui, justifier sa condamnation devant la justice ordinaire.

Au contraire. Par définition, cette condamnation serait même la preuve la plus évidente d’une « volonté judiciaire d’instrumentalisation du droit pénal », opposée à la « non volonté ( ?) d’évacuer la « moralité » qui est le moteur premier de toute acte de justice ». L’explication est simple : on ne peut reprocher et condamner l’ancien Président pour des faits qui seraient endémiques. Nous serions, d’après mon ami et collègue, en effet, « dans une société où tout ce que l’on reproche à Aziz est endémique ».

L’on ne saurait donc, au nom de la Justice, envoyer le personnage en Cour criminelle. « Que reproche-t-on à Aziz qui n’a pas existé et qui existe toujours, depuis plus de 40 ans de régime militaro-tribalo-mercantile ». La belle mécanique démonstrative du Professeur vient d’une erreur de jugement… de valeurs et d’une confusion paradigmatique (point de départ d’une réflexion).

Il estime d’abord, de manière péremptoire, que le droit ne saurait être, par définition, que « le reflet du milieu social, politique et économique dans lequel il s’exerce ». Or, dit-il, « le droit mauritanien est, sans conteste, le reflet de son milieu » qui, en l’occurrence est « une société où tout ce que l’on reproche à Aziz est endémique ». Donc, s’en prendre particulièrement à M. Ould Abdel Aziz, c’est peut être rendre justice (avec petit j) avec ses règles de fond et ses procédures, tout en violant les exigences de la Justice (« avec Grand J ») fondée, elle, sur la Morale.

Mais, il me semble que l’erreur de la démonstration provient de la qualité assignée à la norme juridique elle-même, particulièrement pénale. Celle-ci, par définition, n’est jamais le « reflet » (reproduction) de son milieu que de manière anticipative. Il s’agit d’un devoir-être, c’est-à-dire d’un comportement attendu des acteurs et sujets de droit.

L’environnement du droit n’est pas celui où la règle est appliquée mais où l’on attend qu’elle le soit. C’est le sens même du devoir-être. La norme juridique ne s’oppose donc nullement à la substance de la norme morale à laquelle d’ailleurs, souvent, elle s’identifie. « Tu ne voleras point les biens d’autrui » est à la fois une norme morale et juridique.

A supposer vraie, l’affirmation purement spéculative suivant laquelle tous les mauritaniens (ou presque) sont des détourneurs de biens publics, des trafiquants d’influence, des détourneurs de fonds et des larrons en foire des marchés publics-, en quoi la généralité de ces faits invaliderait-elle la prescription juridique (et morale !) de l’interdiction de détourner, piller, trafiquer etc les biens d’autrui nationaux ou privés ?

Avant de s’en remettre à la « raison pratique » comme dirait le vieux E. Kant, pour fonder un jugement sur le respect de la règle juridique, ne faut-il pas, pour le juriste, s’en tenir d’abord à invoquer l’autorité même de la norme juridique, dans tous les cas pratiques où se poserait la question de son respect, comme le suggère H. Kelsen ? D’autant plus qu’ici, la morale ne peut être séparée de la norme juridique dont elle est la substance impérative ( « Ne pas voler », « ne pas tricher », ne pas détourner » sont autant des prescrits juridiques que moraux et religieux, particulièrement de droit musulman.).

A l’erreur sur le jugement des valeurs entre normes de morale et normes juridiques- qui ne peuvent, ni les unes ni les autres être considérées comme des « reflets sociaux »- s’ajoute celle encore plus significative du paradigme suivant lequel il ne faut respecter les normes que quand elles sont respectées …par tous ! Car la norme, religieuse, morale ou juridique, de courtoisie ou de convenance, doit être respectée pour elle-même, dès lors qu’elle est conforme aux critères de sa définition dans la société concernée.

Autrement, et à moins que la norme en elle-même ne se détache de la morale universelle ou de la société considérée (norme substantiellement contraire aux valeurs communes : égalité, dignité, liberté etc) et pose le problème du droit de résistance à l’oppression, on ne voit pas comment fonder un système de valeurs sur la pratique des comportements sociaux que ces valeurs ont précisément pour objet de créer ou de combattre. Le fait pour des juges, des policiers ou des décideurs de quelque échelon qu’ils soient, de ne pas respecter les règles en vigueur ne leur donne pas raison mais tort au nom de ces mêmes règles. Ils n’en sont pas affranchis mais précisément redevables.

« Que reproche –on à Aziz que l’on ne pourrait reprocher à tous ses collaborateurs dont certains exercent encore au sein de l’Etat et, au-delà, à tous ceux des régimes précédents ? » s’insurge mon ami Ely Moustapha.

On lui reproche d’avoir commis, en tant que chef de l’Etat, au plan du droit, des crimes économiques d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de la Mauritanie. On lui reproche d’avoir profité de sa position de Chef de l’Etat pour mettre sur pied un système de rapine, de détournement de fonds, de trafic d’influence d’une densité inédite. Il s’agit de dizaines voire de centaines de milliards de nos ouguiyas placés, blanchis, partout où il était possible de le faire.

L’appareil d’Etat a servi de pompes financières pour procéder à ce siphonnage, directement ou par réseaux interposés de commerçants, ministres, clan familial… pendant plus d’une décennie, sans aucune précaution Il est, à ma connaissance, le seul Chef d’Etat mauritanien ( naïveté, cynisme ou ignorance) qui a affirmé, en public, s’être enrichi, en cours de mandat, sans avoir touché « une seule ouguiya » de son salaire. Il est également le seul à avoir justifié sa richesse, tour à tour, par des dons d’un Chef d’Etat étranger puis par l’argent …de la campagne électorale, cherchant manifestement quoi dire pour justifier l’ampleur de ses richesses. Tout cela relève à la fois du droit et de la morale.

En matière de droit, il se trouve que toute responsabilité pénale est individuelle. La sienne plus encore que celle de nul autre citoyen puisqu’il est le gardien suprême de la légalité. Quelle que soit celle que peuvent assumer d’autres individus, jugés ou non, aujourd’hui, demain ou jamais. S’il faut attendre que tous les auteurs présumés des crimes et délits soient devant une cour pour que chaque criminel ou délinquant puisse être jugé, on pourrait juste et par avance proclamer la liberté des crimes et délits au nom de l’égalité morale des présumés criminels. Ce serait une anarchie à laquelle nulle société ne saurait résister.

L’ancien Président Ould Abdel Aziz fait face à la justice de son pays pour répondre de graves actes d’accusation. Des faits précis lui sont reprochés devant la Cour et devant l’opinion. Innocent, il devra être libéré. Sur le champ. Coupable il devra être condamné. Comme l’exige la loi qu’il a signée de ses mains. Appliquée ou non, cette vérité est absolue, en droit comme en morale.

Lô Gourmo Abdoul

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