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Hydrogène vert : la Mauritanie face aux limites du storytelling énergétique de CWP

L’hydrogène est souvent présenté comme un pilier de la transition énergétique mondiale. Il pourrait, en théorie, alimenter voitures, avions, navires ou centrales. En pratique, il reste cantonné à des usages marginaux.

À ce jour, seuls quelques milliers de véhicules à hydrogène circulent dans le monde. Ce sont surtout des Toyota Mirai ou des Hyundai Nexo, utilisés au Japon, en Corée du Sud et en Californie. Une goutte d’eau à côté des millions de véhicules électriques.

L’aviation reste à l’état de prototype. Les projets d’Airbus pour 2035 n’ont produit aucun appareil certifié. En matière d’électricité, hormis les prototypes démonstrateurs, il n’existe pas centrales fonctionnant entièrement à l’hydrogène sur une échelle industrielle. Mitsubishi ou Siemens Energy testent l’injection de faibles pourcentages d’hydrogène dans des turbines à gaz. En sidérurgie, des projets comme HYBRIT en Suède sont encore en phase pilote. Leurs coûts sont inaccessibles aux pays du Sud.

Ces limites tiennent à plusieurs facteurs : le coût élevé de production, l’absence d’infrastructures adaptées, un cadre réglementaire instable, et des technologies de stockage encore peu matures. L’hydrogène, aujourd’hui, reste un pari industriel incertain.

C’est pourtant dans ce contexte que la Mauritanie a engagé, avec empressement, un projet présenté comme stratégique. Le programme AMAN, porté par la société CWP Global, annonçait 40 milliards de dollars d’investissements. Il promettait des milliers de mégawatts éoliens, des électrolyseurs géants, et la production massive d’ammoniac vert pour l’exportation. À travers ce projet, le pays ambitionnait de devenir un acteur clé de la transition énergétique mondiale.

Mais en 2025, le constat est sévère : aucun chantier n’a été lancé. Aucune infrastructure n’est sortie de terre. Aucun prototype n’a été mis en service. Les 850 000 hectares concédés à CWP restent vierges. Le projet s’est résumé à des études préliminaires, des cartes, des rendus numériques et des supports promotionnels. L’aveu du PDG de CWP, Mark Crandall, en dit long : « Il n’existe actuellement aucun client prêt à acheter de l’ammoniac vert à un prix qui soit viable pour les producteurs. »

La demande mondiale reste insuffisante. L’absence d’accords fermes d’achat — les fameux take-off agreements — le confirme. Mais cette faiblesse ne suffit pas à expliquer l’échec. Car même dans un marché incertain, un projet bien structuré peut créer sa propre dynamique. Ici, c’est surtout la conception technique et économique qui a fait défaut.

La priorité de CWP n’était pas de bâtir une industrie. Elle était de créer un actif monétisable. La stratégie s’est confirmée avec le rachat de CWP Renewables par Squadron Energy, la société d’Andrew Forrest. Cette acquisition fut l’une des plus importantes de l’histoire du secteur énergétique australien. Le but n’était pas de produire, mais de valoriser des droits dans un marché encore spéculatif. L’analyste Michael Liebreich parle à ce sujet de soufflés à l’hydrogène : des projets conçus pour séduire marchés et bailleurs avant toute preuve concrète de faisabilité.

La Mauritanie n’est pas un cas unique. Mais elle ne peut se permettre d’enchaîner de telles erreurs. Le potentiel de l’hydrogène existe. Encore faut-il en penser les conditions de déploiement.

Cela commence par une exigence : renforcer les compétences de l’État. Le Ministère du Pétrole, des Mines et de l’Énergie et les entités publiques doivent acquérir une capacité d’évaluation, de négociation et de pilotage. Il faut inscrire les projets dans une stratégie nationale, en lien avec les besoins et les capacités industrielles du pays.

La vraie erreur a été stratégique. On a poursuivi un mirage technologique, au lieu de développer des projets viables. Il aurait fallu miser sur des partenariats sobres, mais solides. Un projet fondé sur la transformation de l’acier, impliquant la SNIM et un groupe comme Mittal et un partenaire autre que CWP, aurait été plus réaliste. Plus cohérent aussi avec les ressources disponibles.

Aujourd’hui, CWP semble chercher à réduire discrètement l’ampleur de son engagement. Officiellement, le projet reste en place. Mais les blocages initiaux — coûts, infrastructures, maturité technique — n’ont pas disparu.

Il faut tirer les leçons de cet épisode. Chaque partenariat futur doit reposer sur une due diligence rigoureuse. Cela suppose une vérification des capacités techniques, des antécédents, des engagements financiers, et de l’ancrage territorial. Trop de projets, dans les pays du Sud, sont portés par des acteurs sans expérience, sans capital, et sans vision industrielle.

L’État doit reprendre l’initiative. Il doit se doter de critères clairs. Il doit veiller à ce que les ressources stratégiques du pays servent à construire une économie productive, non à alimenter des opérations spéculatives qui profitent exclusivement à des acteurs étrangers.

La souveraineté énergétique exige des choix responsables. Elle ne peut se construire sur des effets d’annonce. Elle repose sur des engagements solides, une planification rigoureuse, et une maîtrise publique du développement. À ces conditions seulement, les promesses d’hier deviendront des leviers réels de transformation.

À défaut, la Mauritanie risque fort de rejouer, à son insu, une scène tristement emblématique. Dans The Last King of Scotland, Idi Amin, entre lucidité brutale et ironie mordante, lance à son interlocuteur britannique : « C’est l’Afrique, n’est-ce pas ? Le seul endroit au monde où un Blanc raté peut encore se réinventer et gagner de l’argent».

Tout est dit. Sans discernement stratégique, le pays ne sera ni pionnier ni partenaire. Il ne sera qu’une vitrine de plus, offerte aux illusions d’autrui, au prix de sa propre dépossession.

Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba

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