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Colloque régional du MNP à l’occasion de la journée internationale de l’ONU pour le soutien aux victimes de torture

Le mécanisme national de prévention de la torture (MNP) a organisé ce matin à Nouakchott un colloque international commémoratif de la journée internationale des Nations Unies pour le soutien aux victimes de la torture. Ce colloque qui s’est tenu sous le thème : « La garde à vue, ses conditions légales et son impact sur les droits des détenus » a vu la participation de représentants d’instances similaires.

Il s’agit en l’occurrence de l’Instance Nationale Tunisienne de Prévention de la Torture (INPT), de l’Observatoire National des Lieux de Privation de Liberté (ONLPL) du Sénégal et l’Association Suisse pour la prévention de la torture (APT). On note aussi la participation active du Haut-commissariat des NU aux Droits de l’Homme.

La cérémonie d’ouverture du colloque a été présidée par Bekaye Abdel Malek, président du MNP, en présence du président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), du bâtonnier de l’ordre national des avocats, de la présidente de l’Observatoire National des droits de la femme et de la fille, du  directeur de l’Agence nationale de lutte contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants et du chef d’état major de la garde nationale.

Ouvrant le bal des discours officiels, le président de la CNDH a apprécié le choix du thème dans le contexte actuel, affirmant que la garde à vue est une période cruciale pour tout suspect qui doit jouir de la présomption d’innocence. Cette période dit-il est importante pour les défenseurs des droits de l’homme car le suspect est parfois exposé à la torture dans le but de lui extorquer des aveux.

En Mauritanie, la révision des textes en la matière permet dorénavant au client de bénéficier des services d’un avocat dès les premières heures de la garde à vue. Par ailleurs tout suspect doit prendre connaissance de tous ses droits et il n’est pas normal que les condamnations se basent sur les PV de la police, comme cela est parfois le cas.

A son tour le président du MNP s’est félicité du fait que la Mauritanie soit parmi les premiers pays ayant ratifié la Convention Internationale contre la Torture en 2006 et conformément au Protocole facultatif. Et cela s’est traduit par la création d’institutions ad hoc indépendantes, a-t-il souligné.

Ould Abdel Malek a cité en exemple l’affaire Souvi Ould Cheine qui avait défrayé la chronique récemment et dont les résultats de l’enquête judiciaire étaient conformes avec ceux trouvés par le MNP suite à ses propres investigations.

Le président du MNP a salué les efforts du ministère de la justice dans la restructuration et la modernisation de l’administration pénitentiaire.

Abondant dans le même sens Mohamed Abdallahi Ould Mohamed Yahya, Directeur Adjoint Affaires Pénales et Administration Pénitentiaire, a au nom du ministre de la justice salué les grands pas franchis dans le domaine de l’amélioration des conditions de détention. L’hygiène de vie s’est considérablement améliorée.Il a affirmé qu’il n’y a pas de cas signalés de torture dans les prisons. La Mauritanie est dit-il l’un des rares pays où les prisonniers ont droit à 3 repas quotidiens et où les visites conjugales permettent d’assurer que les relations entre l’incarcéré et son conjoint soient maintenues. Et c’est là un exemple rare qui entre dans le cadre de ce que le directeur Adjoint des Affaires Pénales a appelé « la sécurité dynamique ».

Pour sa part Madiaw Diaw Président de l’ONLPL du Sénégal a mis en exergue la coopération fructueuse avec le MNP, ce qui se traduit note-t-il par la signature aujourd’hui d’une convention de partenariat.

L’ONLPL est dit-il né avant le MNP mais la Mauritanie nous donne une belle leçon à travers la composition de son mécanisme. Et le premier pays avec lequel le Sénégal signe un accord sur ce plan c’est la Mauritanie, s’est félicité M.Diaw.

Lui répondant Ould Abdel Malek a assuré que la Mauritanie va exécuter toutes les clauses de cet accord.

Garde à vue, cadre juridique et problématiques pratiques

Intervenant en premier à l’occasion de ce premier panel, Ahmed Abdallahi El Moustapha, Procureur de la République à Nouakchott Ouest a exposé le cas de la Mauritanie où la législation en la matière connait une évolution. D’abord l’existence de garanties procédurales pour la garde à vue, l’accès à un avocat et la recommandation en vertu d’une nouvelle procédure de passer de l’interrogatoire à l’entretien.

Le Procureur a rappelé que selon l’article 10 de la Constitution et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la liberté de la personne humaine est sacrée.

S’agissant de l’arrestation il a distingué 2 types reconnus par la législation mauritanienne,  à savoir l’arrestation pour interrogatoire et l’arrestation pour une garde à vue.

Selon lui la loi mauritanienne a limité les prérogatives de l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) en ce qui concerne la garde à vue.

Quant à la durée de la garde à vue, elle varie selon les faits incriminés et l’âge. Pour les crimes ordinaires elle est de 48 heures renouvelables une seule fois (Article 57 du code pénal).

Pour les adolescents elle est de 24 heures renouvelables une seule fois.

S’agissant des crimes pour atteinte à la sécurité de l’Etat, elle est de 5 jours renouvelables 2 fois. Et pour les crimes liés à la drogue et aux substances psychotropes elle est de 72 heures renouvelables 2 fois.

Pour les crimes de terrorisme elle est de 15 jours renouvelables 2 fois égales.

En cas d’arrestation et de garde à vue, la personne arrêtée doit être informé du motif, le Procureur doit aussi être informé soit par lettre, par téléphone ou à travers le rapport quotidien de la police judiciaire.

L’époux ou épouse du suspect doit aussi être informé dans les plus brefs délais (la loi ne précise pas la durée).

Le droit à un avocat est prévu par l’article 58. Immédiatement après la fin de la garde à vue le renvoi devant le Procureur doit intervenir.

Seul le Procureur est habilité à surveiller et à mettre fin à la garde à vue.

Des institutions comme la CNDH et le MNP sont habilités pour vérifier le respect des conditions de la garde à vue.

Le conférencier a souligné l’existence de contradictions entre la loi générale et les lois spéciales que sont le Code pénal pour l’enfant et la loi sur le terrorisme.

Ainsi selon la personne arrêtée doit être présentée devant un médecin mais les moyens ne sont pas mis en œuvre pour l’application de cette disposition.

Il y a aussi que la plupart des personnes appartenant au milieu de la délinquance ne sont pas accompagnées et souvent cachent leurs identités et leurs attaches.

Il n’y a pas non plus en Mauritanie de centre spécialisé dans la prise en charge des drogués qui sont placés dans des lieux de garde à vue inappropriés. En effet pour certains consommateurs arrêtés alors qu’elles sont sous l’effet de la drogue, elles doivent être gardées dans un lieu où la température est inférieure à 20° faute de quoi leur vie est en danger.

Autre difficulté, au niveau de l’hôpital psychiatrique on refuse de recevoir toute personne non accompagnée par un proche. Cela aussi pose problème.

Au sujet de la convocation par l’OPJ, le conférencier affirme qu’il n’existe pas de loi fixant la forme de cette convocation qui se fait le plus souvent par téléphone. Il convient de légiférer à ce sujet souligne le Procureur qui préconise de trouver une alternative à la garde à vue, ce qui reconnait-il n’est pas chose aisée à cause de la mentalité des mauritaniens.

Cas du Sénégal et de la Tunisie

Au Sénégal la garde à vue est encadrée par l’article 55 de la loi du code de procédure pénale. Le délai ne peut pas dépasser 48h.

Dans son exposé, Madiaw Diaw Président de l’ONLPL du Sénégal a d’abord parlé du déroulement de la garde à vue. Il a distingué 2 types : la garde à vue avec la nécessité d’enquête sur une personne par l’OPJ dans le but d’avoir des informations d’urgence. Dans ce cas de figure, la loi est claire, cette personne ne peut pas être retenue au-delà de 24 heures.

Depuis 2016 la loi anti-terroriste prévoit une garde à vue de 96 h (4 jours) renouvelables 2 fois soit 12 jours au total, beaucoup moins qu’en Mauritanie où la durée de garde à vue atteint 45 jours ce qui est excessif note M.Diaw.

Au Sénégal le suspect doit bénéficier automatiquement des services d’un avocat. C’est d’ailleurs une règle appliquée depuis 2017 dans l’espace de l’UEMOA, et faute de quoi c’est toute la procédure qui est purement et simplement annulée si les avocats le demandent ou même le ministère public.

Autre disposition obligatoire de l’OPJ c’est la tenue du registre du procureur qui doit être régulièrement côté, paraphé, annoté et mis à jour. C’est en quelque sorte un baromètre pour l’OPJ.

Abordant la problématique de mise en œuvre de la garde à vue au Sénégal M.Diaw a dit qu’il s’agit là de l’œil de l’observatoire.

Seulement les problèmes sont nombreux. Elles concernent les infrastructures, les équipements, etc.

Ainsi la garde à vue se fait dans les commissariats et autres brigades de gendarmerie qui sont vétustes et ne remplissant pas les conditions requises.

Et plus grave encore, au Sénégal les mineurs ne sont pas séparés des adultes comme le préconise le code pénal. De ce fait les mineurs sont souvent gardés à vue dans les postes de police.

Par ailleurs, au Sénégal les dimensions de la cellule (16m2 pour une cellule collective)  ne respectent pas les normes en matière de respect des droits de l’homme. Et rarement on trouve des cellules de 12 m2 ce qui fait que la promiscuité est insupportable.

Mais les choses s’améliorent selon M.Diaw qui a donné l’exemple des nouvelles unités de police aux normes construites à Bambey, Mbao, Parcelles Assainies, Linguère, etc.

Pour la prise en charge alimentaire et médicale rien n’est prévu par les textes au Sénégal.

La situation en Tunisie se recoupe en partie avec celles du Sénégal et de la Mauritanie comme l’a démontré Heithem Ben Chaabane membre de l’INPT. Mais à la différence de ces deux pays, en Tunisie, le suspect gardé à vue ne bénéficie pas des services d’un avocat pendant les premières 48h. En plus de cela les textes ne tiennent pas compte de la particularité des mineurs qui sont traités comme des adultes.

Il convient de rappeler que la Mauritanie a ratifié l’OPCAT en octobre 2012, et a promulgué la loi instituant le MNP le 30 septembre 2015. Ce dernier a pour mission la prévention de la torture sur toute l’étendue du territoire national.

Le MNP est composé d’un Président et de 12 membres nommés par le Président de la République ;

Notons enfin qu’à travers l’organisation de ce colloque, le MNP entend ouvrir un dialogue constructif et une réflexion approfondie sur les mesures à prendre en vue de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cours de détention.

Bakari Gueye

 

 

 

 

 

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