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Chronique d’un avenir confisqué

Il arrive, dans la vie des nations, que certains événements paraissent fondateurs, mais ne soient en réalité que des pauses. La transition politique survenue en Mauritanie en 2019, pacifique et inédite dans l’histoire nationale, fut accueillie comme une promesse. Mais elle n’a produit ni rupture réelle, ni refondation.

Plus de cinq ans plus tard, l’espoir s’est dissipé, absorbé par un pouvoir sans imagination, sans projet, sans perspective. Rien n’a changé, sinon la forme. Et même cette forme s’est figée.

L’État veille à sa propre continuité, mais sans orientation, ni exigence de finalité. Le système, lui, reste ancré dans ses structures anciennes. Depuis plus de quatre décennies, il s’articule autour d’un triptyque solide et clos : le pouvoir militaire, les chefferies d’allégeance, et un clergé de légitimation. Cette architecture sociale et politique, forgée dans la crainte du chaos, s’est constituée en rempart contre tout mouvement réel. Elle ne structure pas un avenir ; elle retarde sa venue.

La gouvernance se replie sur l’habitude. L’administration fonctionne à vide, guidée non par une politique mais par des équilibres internes. Les nominations répondent aux appartenances, non aux compétences. La parole publique se dilue dans l’énoncé de principes jamais appliqués.

La reddition des comptes, évoquée pour la forme, reste sans effet. L’impunité n’est plus l’exception : elle est la condition de reproduction du système. L’État ne tranche plus : il temporise, il préserve, il esquive.

Dans cette atmosphère d’évitement, les signes d’abandon se multiplient. Les institutions régaliennes s’effacent, parfois jusqu’à l’invisibilité. L’État dévalorise ses enseignants, marginalise ses forces de l’ordre, et néglige la garde de ses frontières.

Les agents publics ne sont ni formés ni protégés. La souveraineté devient décorative. Le territoire est administré comme une collection de marges. La puissance publique ne se mesure plus qu’à sa capacité à durer.

Le président, de bonne foi peut-être, évoque l’apaisement. Mais ce calme apparent masque l’absence de véritable dialogue. Les compétences sont écartées, les oppositions marginalisées, les institutions techniques vidées de leur sens. L’État fonctionne en cercle fermé, replié sur une élite politico-bureaucratique qui ne croit plus en la possibilité du changement, et s’en protège.

Nulle part cette faillite ne se manifeste aussi crûment que dans le domaine de l’éducation. L’école publique, ancien levier de l’ascension sociale, est devenue un espace de déclassement.

Le mépris des filières littéraires, la réduction des classes d’excellence, la paupérisation des enseignants, traduisent une rupture avec toute ambition de former des citoyens. L’élite se détourne de l’école nationale pour envoyer ses enfants ailleurs. Et ceux qui restent subissent un enseignement appauvri, incapable d’ouvrir l’esprit. On ne forme plus des consciences.

L’économie nationale, quant à elle, n’est plus pensée comme un levier de souveraineté. Elle est gérée par fragments, selon une logique d’extraction et de dépendance. Le secteur des pêches, l’un des plus stratégiques du pays, est abandonné à des opérateurs sans scrupule. Le pillage est ouvert, les périodes de repos biologique ignorées, les licences distribuées sans transparence.

Les ressources halieutiques sont exploitées sans contrôle, les ressources gazières hypothéquées d’avance, du fait même des dettes contractées auprès des sociétés chargées de leur exploitation. L’État s’endette sur ses promesses de rente, sans contrôle ni stratégie nationale de réinvestissement. Ce ne sont pas des projets de développement, mais des anticipations de reddition.

Même les industries minières, pourtant au cœur des recettes nationales, échappent à un encadrement cohérent. L’or est extrait par une société étrangère utilisant des procédés chimiques comme le cyanure, dans des conditions qui dépassent les capacités techniques et réglementaires de l’État. L’exploitation artisanale, livrée à elle-même, généralise l’usage du mercure, aggravant les risques sanitaires et écologiques.

L’absence de laboratoire national pour l’analyse, le filtrage et la certification de l’or, comme l’inexistence persistante d’une aciérie, illustre l’incapacité de l’appareil public à structurer une politique industrielle de souveraineté.

Pire encore, les circuits d’exportation de l’or issu de l’exploitation artisanale, tout comme l’octroi des licences de pêche ou des permis d’exploration et d’exploitation minière, restent aux mains d’une oligarchie fermée, proche du pouvoir. Ainsi, la richesse brute du sous-sol se mue en rente privatisée, sans effet structurant sur le développement national

Les infrastructures, elles aussi, témoignent d’un État qui recule. La route de l’Espoir se désagrège. Les postes de police se transforment en abris précaires. Les services de base sont gérés dans une logique de survie. Le service public se clochardise. Et l’on accepte, dans ce contexte, des accords migratoires et des programmes de coopération qui entérinent la dépossession de l’autorité nationale.

Ce tableau n’a rien de spectaculaire. Il est celui, silencieux mais implacable, d’un effacement progressif. Non d’un effondrement brutal, mais d’un consentement organisé au rétrécissement du possible. Ce n’est pas tant l’absence de moyens qui frappe, que l’absence de volonté. Ce n’est pas la pauvreté qui bloque, mais la résignation.

Aucune société ne peut survivre au mépris prolongé de ses propres exigences. On ne gouverne pas longtemps une population à l’économie de la pensée, au rabais de la compétence, à la dilution du sens. Une République ne tient pas sur des slogans, ni sur la répétition des mêmes erreurs. Elle suppose un socle, un cap, un courage.

À force de différer le nécessaire, on l’oublie. À force d’édulcorer le réel, on s’y soumet. Et à force de reculer devant les choix, on perd le droit de les faire. Le renoncement ne se décrète pas : il s’installe, il s’insinue, il altère le jugement.

Il reste une marge. Mais elle se rétrécit. Et l’histoire, elle, ne s’arrête pas.

Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba

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