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Un mandat pour vaincre et un quinquennat pour convaincre

Quelques mois seulement nous séparent de l’échéance présidentielle de cette année 2024. Des initiatives réclamant la candidature du Président de la République et sa réélection pour un second mandat commencent déjà à pulluler. Elles vont certainement évoluer crescendo.
En effet, on voit même les ministres, dans des cérémonies officielles, largement médiatisées, et en sa présence, le prier de candidater. Comme si le Président avait besoin qu’on le suppliât. La constitution lui permet de « récidiver », et il n’a pas de raisons plausibles pour songer à se retirer si tôt. Naturellement, les acteurs politiques ne s’accorderont pas tous sur le jugement à porter sur le bilan du mandat qui s’achève.
Les opposants récalcitrants, ou ce qui en reste, crieront, à hue et à dia, que nous avons été relégués aux sous-sols de l’enfer.
Dans le camp de la majorité, par contre, on jurera, sans la moindre hésitation, que nous sommes déjà au Paradis.
Il est d’une irréfutable évidence que la réalité objective devrait se situer entre ces deux antipodes auxquels nous renvoient ces protagonistes qui, ainsi, croient pouvoir faire un raccourci pour échapper à l’inéluctable jugement dernier.
En attendant celui-ci, il appartiendra à l’histoire de juger l’action de tous, et de chacun. Il est incontestable que le Président doit bénéficier de circonstances atténuantes. En effet, il a été confronté, trop tôt, à une multitude de défis.
D’abord, la pandémie de la Covid-19 qui, cumulée avec les effets de la guerre en Ukraine, a eu des conséquences et contingences socio-économiques multiples. Les mesures prises dans ce cadre ont été élargies, par la suite, à un vaste programme d’actions sociales. Celui-ci a eu des impacts incontestables qui, selon certains observateurs, se sont même reflétés dans les résultats des dernières élections législatives, régionales et communales.
Ensuite, vint la fronde au sein du parti du pouvoir, fomentée par son prédécesseur d’ami qui, apparemment, s’était très mal accommodé, et trop tôt, de ne plus tenir les vraies manettes. Apparemment, celui-ci pensait pouvoir réduire son succeur à un rôle de simple marionnette qu’il continuerait à manipuler grâce aux ficelles qu’il croyait, naïvement, avoir bien tissées durant son règne populiste et grâce à sa popularité pompeuse.
Le Président s’est trouvé donc confronté, malgré lui, à un défi existentiel, non seulement pour affirmer son autorité que d’aucuns s’évertuaient à mettre tendancieusement en doute, mais aussi, et surtout, pour la stabilité du pays et la continuité de l’apprentissage démocratique pour ses institutions.
Il est aisément compréhensible que cette confrontation ait pu avoir une incidence sur l’approche de gouvernance par laquelle le Président aurait voulu marquer son premier mandat. Il avait, de toute évidence, besoin de vaincre. Pour ce faire, il se devait d’apaiser la scène politique et ménager le système pour ne pas élargir une quelconque base d’une potentielle adversité.
En fait, une mise en œuvre du célèbre dicton « préserves-moi de mes amis, et je me charge de mes ennemis ». Le déroulement du procès dit de « la décennie », et son aboutissement récemment à une condamnation du principal prévenu sans que le ciel ne tombe subitement sur terre, comme le médisaient certains, permet d’envisager un indispensable changement de paradigme.
C’est de bon augure car, ayant réussi à vaincre haut la main au terme de son premier mandat, le Président, pour son prochain quinquennat, devrait s’atteler exclusivement à convaincre ceux qui douteraient encore, et apposer, de façon indélébile, son sceau spécifique de gouvernance.
Loin de moi la prétention de proposer ici un programme pour la prochaine mandature. Loin s’en faut. Je veux seulement susciter une réflexion sereine, et une évaluation objective pour éviter d’aborder le quinquennat à venir sous l’enivrante euphorie de l’autosatisfaction dans laquelle nous avons pris la mauvaise habitude et un malin plaisir à nous complaire.
Ceci est essentiel pour pouvoir juguler les tares et combler les retards car, sans vouloir être trop sévère, dans ce pays, ce qui ne reste pas à faire est, pour une grande partie, à refaire, le concept de durabilité étant, malheureusement, trop souvent, absent dans nos choix.
La première démarche pour y arriver, serait d’adopter une nouvelle approche de communication. En effet, la sémantique officielle idyllique perpétuée par les pouvoirs successifs ne convainc plus personne. Ainsi, et seulement à titre d’exemple, devrait-on cesser d’utiliser le langage perfectionniste du « tout parfait » et du risque zéro « toutes les mesures ont été prises »…
Pour mieux convaincre un peuple de plus en plus averti, les orateurs publics devraient avoir l’honnêteté de distinguer entre ce qui marche bien, ce qui l’est moins et ce qui ne l’est pas du tout. C’est tout à fait dans la nature imparfaite des choses. Ils y gagneront en crédibilité.
Ainsi, au lieu d’essayer de vendre de l’illusoire, au risque de finir par y croire, devrait-on plutôt capitaliser les leçons des erreurs pour éviter les fautes et les errements. Les adeptes de la terminologie maximaliste ne laissent pas de marges de manœuvre pour justifier d’éventuels naturels ratés, et ce en privilégiant, de façon abusive, l’utilisation de termes tels que « le décollage économique », « la prospérité partagée », etc…
Ce n’est tout simplement pas convaincant dans un pays dont les médias officiels couvrent tapageusement les distributions de Kits alimentaires à de larges franges de la population et font état de généreux privilèges, en numéraire et assurance de santé, accordés à des centaines de millier de familles qui vivraient dans une grande précarité.
Aussi, serait-il utile, voire nécessaire ou indispensable, de définir ce qui est la normalité dans la mission de gouvernance du pays. Cette définition nous permettrait de qualifier avec grande précision ce qui sortirait de l’ordinaire, en tant que réalisation, grandiose, inédite ou sans précédent…
Dans ce cadre, deux expressions, en particulier, devraient être bannies du lexique officiel. Il s’agit de « la réhabilitation » et de « l’ancien Ouguiya ». S’il est compréhensible qu’au niveau individuel et populaire on continuera longtemps à utiliser ce concept d’ancien/nouveau pour éviter tout quiproquo, il est inacceptable, au niveau officiel, que nous ayons changé de monnaie pour en avoir deux.
Pour ce qui est de la réhabilitation, son utilisation abusivement récurrente et son coût particulièrement pesant la rendent tout simplement inacceptable. Comment peut-on accepter cette démarche illogique qui fait qu’un poste de santé, censé être utilisé 24 heures sur 24, jour et nuit, et une salle de classe occupée, a priori, 10 mois sur 12, aient besoin d’être réhabilités ?
Comment peut-on justifier que l’entourage du Président le fasse parler, dans une adresse à la nation, de « la réhabilitation » de l’unique aéroport de la capitale économique du Pays ? La pratique désastreuse et onéreuse de la réhabilitation doit laisser la place à une culture enracinée, et à un choix sans concession, de l’entretien et de la maintenance pour tout édifice ou infrastructure publique ou communautaire.
Aussi, dans le domaine des nouvelles infrastructures routières, dont le kilomètre coûte, en moyenne, quelques 15 millions de nos « actuelles » Ouguiya, un moratoire devrait être envisagé jusqu’à la mise en place de structures suffisamment qualifiés et convenablement outillées pour en assurer les entretiens régulier et périodique. Ne dit-on pas que la préservation de l’existant prime sur l’acquisition d’un manquant?
Il est également souhaitable de définir des cadres et référentiels pour l’aménagement du territoire en vue d’adjoindre à la planification exclusivement (férocement ?) économique, une dimension spatiale à même de valoriser les territoires et réduire les disparités inter et intrarégionales. Aussi, de tels instruments auront le mérite d’assurer une plus grande cohérence de l’action gouvernementale et davantage de cohésion nationale.
Dans le même cadre, la spécialisation fonctionnelle devrait être mise en vigueur avec une grande rigueur. Il n’est pas acceptable que des infrastructures, telles que les barrages, à titre d’exemple, soient étudiées et réalisées par différentes structures étatiques sans qu’il y ait une agence fédératrice pour veiller au respect scrupuleux des normes qui auraient été établies et adoptées en la matière.
Comme confessé plus haut, ce modeste billet se veut simplement comme incitation à une analyse diagnostique, objective et, surtout, non partisane, du bilan des cinq années du mandat qui s’achève, en vue d’adapter des choix pour l’avenir, en capitalisant les expériences du passé et les réalités présentes, aux exigences du devenir d’un pays immensément riche tant en ressources naturelles que celles, plus valeureuses, humaines
Debellahi ABDEL JELIL
N’djamena le 01/01/2024

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