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Nouadhibou, miroir du marasme national

À l’occasion de la visite du président à Nouadhibou, il ne suffit plus de dérouler les banderoles. Il faut parler avec vérité. Car les régions n’applaudissent plus : elles observent, elles attendent, elles se taisent, mais elles ne tarderont pas à gronder.

Nouadhibou, ville portuaire au potentiel immense, n’est plus qu’un nœud d’asphyxie : aucune planification urbaine digne de ce nom, un littoral livré à la spéculation, des services publics réduits à la survie, une jeunesse désorientée, des écoles délaissées. Et pourtant, c’est de ses eaux que l’État tire sa rente halieutique. C’est sur ses quais que transite le minerai de fer. Mais que lui rend-on ?

Partout ailleurs, le constat est le même : l’Inchiri voit ses minerais partir sans rien recevoir en retour ; la vallée endure l’extraction gazière sans retombées tangibles ; les régions de l’intérieur peinent à accéder aux services les plus élémentaires. Le pays est géré depuis le centre, mais il se défait par les marges.

Ce n’est pas qu’une crise de gestion. C’est une crise de vision, de compétence et de légitimité.

Mais il faut aller plus loin. Il faut faire appel à ce qui, en tout chef d’État, devrait primer sur l’instinct de conservation : l’intelligence du réel. Car le décor social ne tient plus.

La précarité défigure nos villes. L’exode des jeunes s’accélère. Les routes se dégradent jusqu’à l’insécurité. Les accidents meurtriers s’enchaînent, sans réaction. L’impunité s’installe. L’eau et l’électricité manquent. Et face à cela, l’appareil d’État reste figé, comme s’il s’était accoutumé à sa propre impuissance.

Ce silence n’est pas une stratégie. C’est un aveu.

Il est temps d’en finir avec une centralisation qui concentre les pouvoirs, les richesses et les privilèges. Il est temps d’ouvrir une nouvelle page : celle d’un État équitable, fondé sur un principe de justice territoriale. Un pourcentage clair et garanti des revenus tirés des ressources naturelles doit revenir, de droit, aux régions qui les produisent et les exportent.

Cela suppose aussi de doter les communes, les mairies et les conseils régionaux de pouvoirs réels, de prérogatives effectives, et surtout de moyens concrets pour exercer leurs missions. Une décentralisation sans transfert de compétences et de ressources n’est qu’un simulacre. L’État ne peut continuer à déléguer sans soutenir, ni à exiger sans équiper.

Ce n’est ni une faveur ni une concession : c’est une exigence de justice nationale. Une République qui exploite sans redistribuer ne construit pas l’unité — elle sème la rupture.

Concrètement :

• Une part des recettes issues de l’exportation du poisson et du fer doit revenir à Nouadhibou et à Zouerate — sous forme d’investissements, d’équipements publics, de financements locaux.

• Les ressources minières d’Akjoujt doivent structurer durablement l’Inchiri — routes, écoles, centres de santé.

• Les revenus du gaz doivent irriguer les communes riveraines — en infrastructures, en formation, en développement.

Cela ne relève ni du luxe ni de la faveur. C’est une exigence républicaine. Ce pays ne tiendra pas sur des incantations. Il tiendra sur des mécanismes clairs, sur un contrat refondé entre la nation et ses territoires.

Car à force de détourner les regards, on finit par ne plus voir la fracture qui s’élargit. Et un jour, les voix qui réclament équité réclameront autonomie. Puis séparation. Et ce jour-là, il sera trop tard pour parler de dialogue.

Personne ici n’appelle à la rupture. Mais beaucoup cessent de croire en la Mauritanie telle qu’elle est. Et ce désenchantement, s’il s’installe dans la durée, sera plus dangereux que l’opposition.

Le devoir des élites, aujourd’hui, n’est pas de durer. Il est de prévenir. De dire à ceux qui détiennent le pouvoir que la stabilité ne peut reposer sur l’inertie. Et que la paix sociale ne s’achète pas : elle se construit, elle s’honore, elle s’alimente de justice.

Il est encore temps d’agir. Mais l’histoire, elle, ne ralentit pas. Elle ne s’adapte pas aux prudences. Elle juge. Et parfois, elle balaie les hommes d’État comme on balaie les déchets.

Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba

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