Forfaits judiciaires

Introduction :
La diffusion des affaires judiciaires au grand public est compatible avec le principe de la publicité des audiences, consacré par la législation mauritanienne. Avec la facilité de diffusion offerte par les réseaux sociaux et leur impact croissant, il devient possible d’en faire un outil pour limiter les injustices et améliorer les performances judiciaires, d’autant plus que la loi ne prohibe pas la diffusion des litiges sauf s’ils relèvent du secret de l’instruction.
Certains juges, malheureusement, ne prennent pas au sérieux les dossiers qui leur sont soumis et s’abstiennent de les examiner, ce qui se manifeste par le défaut de répondre aux arguments des parties. Le silence et le huis clos favorisent la soumission à l’influence, due à l’absence de dénonciation de l’injustice en raison du désintérêt du public pour les audiences.
Dans le but de contribuer à la réforme et de combattre l’impression généralisée d’un dysfonctionnement du système judiciaire – à tous ses niveaux – face à certaines affaires. Il y a lieu de ne pas se contenter de critiques orales, souvent inefficaces.
Pour ces raisons,
J’ai décidé de révéler la manière dont certaines affaires judiciaires sont traitées, convaincu que dénoncer ces dérapages peut contribuer à l’établissement d’une justice équitable. Les responsables doivent s’efforcer de rétablir les paramètres de la justice, avant que le système ne soit totalement paralysé. La prise en considération du regard public et institutionnel incite le juge à dire le droit, et pousse les justiciables à redouter l’injustice qui ne doit être ni tolérée par les magistrats intègres, ni ignorée par les consciences éveillées.
Après avoir traité de la situation de la justice mauritanienne dans mon livre « Thèmes pour le triomphe de la justice » publié en langue arabe en 2010, ainsi que dans divers articles et postes ultérieurs – dont certains ont été jugés, par des magistrats, comme inobjectifs – je m’attacherai ici à des cas concrets, vécus, reflétant des réalités de traitement des affaires par le système judiciaire.
Ces cas illustrent ma vision, et la vision de tant de professionnels, du fonctionnement de l’appareil judiciaire, et j’espère qu’ils serviront la réforme et permettront de rendre justice aux opprimés. Je présenterai ces expériences sous forme d’articles abordant des affaires judiciaires dont chacun pourra discuter, contester ou débattre, ce qui enrichira le débat public, contribuera à un meilleur équilibre et favorisera la justice qui est la pierre angulaire de tout développement économique et social. Il s’agit surtout d’affaires tranchées définitivement et jugés au niveau de la cassation.
Dans cet article, je m’abstiendrai d’évoquer l’évaluation générale de l’appareil judiciaire mauritanien, en me limitant à des faits concrets, faciles à vérifier, et illustrant comment certaines affaires sont expédiées à la hâte, sans étude sérieuse ni examen des pièces du dossier, et parfois en ignorant totalement les arguments d’une des parties, alors que la loi impose de les analyser et d’y répondre – même si ces arguments paraissent faibles au juge.
Je mettrai également en lumière le niveau des abus commis par certains huissiers qui échappent à tout contrôle judiciaire en usant d’abus flagrants, sans être inquiétés. Dans l’affaire objet de cet article, une banque a demandé au tribunal de commerce de Nouakchott de déléguer l’exécution à celui de Nouadhibou. Une fois le dossier transféré, le demandeur a sollicité le désistement, et le tribunal s’est dessaisi. L’huissier a alors déposé un cahier des charges au greffe du même tribunal, qui s’est dessaisi depuis onze jours, essayant de fuir le contrôle judiciaire.
Bien que les moyens de nullité aient été déposés devant le Tribunal compétent et valablement mentionnés dans le cahier des charges dans les délais prévus, l’huissier a poursuivi l’exécution, profitant de l’absence de contrôle juridictionnel. Et après notification d’une décision de la Cour d’appel commerciale de Nouadhibou annulant l’ordonnance de désistement et renvoyant l’affaire devant le tribunal de Nouadhibou, l’huissier a continué ses démarches en violant les procédures prévues sous peine de nullité, allant jusqu’à vendre des centaines de biens immobiliers sans convocation préalable à l’audience de vente ni respect des délais légaux de confirmation de la vente et à défaut d’enchère publique.
Au lieu de jouer son rôle de garant du respect de la loi, la Cour suprême a rendu sa décision sans même consulter le dossier, et a cassé la décision rendue par le Tribunal de contrôle sans l’avoir lu. En effet, la chambre commerciale de la Cour suprême a fondé sa décision sur l’idée erronée que la Cour d’appel commerciale de Nouadhibou avait fixé la date de la vente pour l’huissier, alors qu’en réalité cette décision a été rendue le jour même de la vente et ordonnait le renvoi de l’affaire devant le tribunal de Nouadhibou, seul compétent. Ce dernier a annulé la procédure et ordonné sa reprise en raison des irrégularités manifestes.
La banque a obtenu de la Cour suprême la cassation de la décision d’annulation de la procédure de vente. Il est manifeste, à la lecture de cette erreur, que la Cour de cassation n’a même pas lu le mémoire en réponse, qui commençait par contester la qualité du requérant – la banque ne doit pas se substituer à l’huissier – et démontrait que la décision invoquée par la banque et reprise par la Cour allait à l’encontre de son propre dispositif, causant ainsi un lourd forfait.
Dans ce premier épisode de la série, je traiterai d’un cas réel passé par toutes les juridictions, concernant l’injustice subie par mon client, Ibrahim Ould El Hadj El Mokhtar.
Forfait 1
L’affaire d’Ibrahim et de la Banque Al-Amana (BEA)
Brahim Ould El Hadj El-Mokhtar est un homme d’affaires mauritanien résidant à Nouadhibou, actif dans le secteur de la pêche. Il possédait des entreprises avec des partenaires chinois, qui se sont soudainement retirés, entraînant l’arrêt de ses activités. Pendant la période d’activité des entreprises, Brahim avait déposé au profit de la Banque Al-Amana (BEA) les titres de plus de 200 biens immobiliers pour obtenir des facilités financières. Il en avait hypothéqué certains officiellement et a déposé d’autres titres à la banque.
En 2018, la banque lui demanda de signer des « protocoles d’accord » au nom des sociétés, sous prétexte qu’elle devait les présenter à la Banque centrale. Brahim, qui n’avait pas accès aux comptes des sociétés — gérés uniquement par le partenaire chinois avant son départ inattendu — signa ces protocoles, comme il en avait signé auparavant, sans données précises lui permettant de vérifier les chiffres qu’ils contenaient.
Sur la base de ces signatures, le tribunal de commerce de Nouakchott émit des ordonnances d’exécution forcée contre les sociétés. Ces décisions furent confirmées par tous les degrés de juridiction, qui considérèrent les protocoles comme des actes authentiques. Elles servirent également de fondement aux poursuites initiales (1). L’huissier suivit ensuite une procédure de saisie immobilière abusive, aboutissant à la vente en bloc de centaines de biens, sans respecter les procédures légales, comme nous le montrerons (2). Lorsqu’un recours fut introduit contre cette saisie devant le tribunal compétent, celui-ci annula la vente et ordonna de reprendre la procédure.
La BEA forma alors un pourvoi en cassation. La chambre commerciale de la Cour suprême annula la décision d’annulation, s’appuyant sur une Décision dénaturée de la cour d’appel commerciale de Nouadhibou (n° 15/2024), que les juges de la haute juridiction semblent ne pas lire : ils crurent à tort que cette Décision avait validé la vente alors qu’en réalité, elle avait renvoyé l’affaire au tribunal qui a invalidé la procédure et ordonné sa reprise (3).
Au cours de l’exécution, mon client porta plainte contre le notaire, qui déclara à la police judiciaire judiciaires que Brahim n’avait jamais signé ces protocoles devant lui, ni dans son bureau. Cette reconnaissance, élément nouveau et décisif, nous permit de demander au tribunal ayant ordonné l’exécution de revenir sur ses ordonnances. Le tribunal rejeta nos trois demandes par une seule ordonnance d’une page, arguant que les ordonnances d’exécution ne peuvent faire l’objet d’une rétractation !? (4).
1. Exécution de protocoles considérés à tort comme actes authentiques
En 2023, la BEA présenta au tribunal de commerce de Nouakchott les protocoles signés par Brahim en 2018, demandant leur exécution forcée comme s’ils étaient des actes authentiques. Le président du tribunal ordonna leur signification aux sociétés concernées, leur donnant trois jours pour répondre. Chacun des trois protocoles portait une signature du notaire et affirmait Que Brahim Ould Ahmed Ould El Hadj El Mokhtar et Mohamed Ould Ahmed Salem Ould Bouna Mokhtar (directeur de BEA) s’étaient présentés au bureau du notaire, où le contenu de l’accord leur fut lu et signé.
Brahim répondit qu’il n’avait jamais signé ces protocoles devant un notaire, ni dans son bureau, ni même eu le moindre contact avec lui. Il les avait signés seul, dans les locaux de la banque, en l’absence du directeur, ce dernier les a contresignés plus tard.
L’absence de signature devant notaire retire le caractère authentique aux protocoles et les rend inexécutoires, même s’ils peuvent constituer un commencement de preuve à débattre au fond. Les avocats des sociétés plaidèrent l’incompétence territoriale de la juridiction de Nouakchott, puisque les sièges des sociétés se trouvent à Nouadhibou, et aucune clause relative à la compétence n’existait.
Le juge rejeta ces exceptions et émit trois ordonnances d’exécution forcée contre les sociétés ARMACHIP, MASOF et CCS (cette dernière sans partenaire chinois), pour un montant total avoisinant trois milliards d’anciennes ouguiyas.
Les protocoles n’étaient pas numérotés, étaient rédigés en français (et non en arabe, langue officielle exigée par la loi 19-97 sur les notaires), ce qui les prive du caractère officiel. L’ordonnance n°151/2023 mentionnait un numéro de titre inexistant dans le dossier (03707), tandis que les deux autres (152/2023 et 179/2023) n’indiquaient aucun numéro.
Les avocats des sociétés firent appel devant la cour commerciale de Nouakchott, espérant qu’avec trois juges le traitement sera plus équitable. Le Président tenta une conciliation : la banque renonçait aux intérêts si Brahim remboursait le capital. Il demanda les relevés de comptes, que la BEA refusa d’abord de transmettre, avant de céder sur ordre du juge.
Une fois les comptes obtenus, Brahim les confia à un cabinet d’expertise comptable réputé (BECHIR & CO), qui conclut que la dette des quatre sociétés (une quatrième, SOPREMER, ayant été ajoutée) s’élevait à 36.173.833 MRU, soit à peine 1/8 des 293.974.901 MRU objet des ordonnances.
La conciliation échoua. La cour d’appel confirma les ordonnances d’exécution. Les avocats déposèrent un pourvoi, mais la chambre commerciale de la Cour suprême (5 juges) le rejeta.
Ils demandèrent ensuite l’annulation des protocoles considérés comme titres exécutoires. Le tribunal rejeta la requête. Les sociétés attaquèrent alors la BEA au fond : deux expertises confirmèrent le montant réel de la dette, mais le tribunal de commerce de Nouakchott rejeta à nouveau leur demande, arguant que les transactions précédentes mettaient fin au litige. Les deux affaires furent portées devant la cour d’appel, mais n’avaient pas encore été jugées à la date de rédaction de ce texte.
2. Les abus de la procédure de saisie immobilière
La saisie immobilière est régie par les articles 379 à 405 du Code de procédure civile, commerciale et administrative. Elle doit être réalisée par un huissier, sous le contrôle du tribunal compétent. L’article 399 prévoit que la vente doit avoir lieu au sein du tribunal, en audience publique. Comme les biens immobiliers de Brahim se trouvent à Nouadhibou, la BEA demanda au tribunal de commerce de Nouakchott de déléguer l’exécution à celui de Nouadhibou, qui accepta et transféra le dossier le 7 mai 2024.
Mais face au respect des procédures affiché par le président du tribunal de Nouadhibou, la BEA demanda au tribunal de se dessaisir du dossier au profit de Nouakchott, ce qu’il fit le 1er août 2024. Les sociétés firent appel de ce désistement, mais l’appel ne sera examiné que le 5 décembre 2024.
Pendant ce temps, l’huissier poursuivit la procédure sans contrôle judiciaire. Il devait attendre la décision d’appel ou que le dossier soit officiellement réassigné à une autre juridiction. Fait étrange : moins de deux semaines après le désistement (le 11 septembre 2024), l’huissier déposa un cahier des charges… devant le même tribunal de Nouadhibou qui venait de se dessaisir à la demande du mandant de l’huissier !?
Bien que le dépôt du cahier des charges implique la reconnaissance de la compétence du tribunal auprès duquel il a été déposé, la Banque Al-Amana a continué à soutenir que le tribunal de commerce de Nouadhibou s’était dessaisi de l’affaire, et n’a présenté aucune demande au Tribunal de commerce de Nouakchott, au profit duquel il réclamait le dessaisissement. Pendant ce temps, l’huissier poursuivait les procédures d’exécution en invoquant l’ordonnance de désistement pour contourner le contrôle judiciaire et jouir librement des biens immobiliers sans contrôle, échappant ainsi à toute responsabilité en cas de dépassements, notamment en évitant les procédures de saisie immobilière prévues par les articles 379 à 405 du Code de procédure civile, commerciale et administrative, dont le non-respect de certaines entraîne la nullité absolue des poursuites.
Dans ce contexte, l’huissier de justice Maître Babiye Ould Mohamed Abdallahi a décidé de tenir une audience de vente aux enchères publiques le lundi 15 octobre 2024 à 13 heures, dans la salle d’audience n°1 du tribunal de la Wilaya de Dakhlet Nouadhibou, et m’a convoqué personnellement à y assister (en ma qualité de mandataire des sociétés) par deux convocations écrites, remises par l’un de ses agents le 13/09/2024. Chaque convocation concernait les trois sociétés et mentionnait trois ordonnances, dont une étrangère au regard de la procédure (n°159/2023) qui n’avait aucun lien avec l’affaire, mais ne mentionnait pas l’ordonnance n°152/2023 (concernant la société MASOF). L’une des convocations portait sur onze titres fonciers (non visés par le conservateur foncier et sans dépôt de cahier des charges), et l’autre sur 211 lots de terrains (sans indication de numéros dans les annonces).
Conformément à l’article 395 du Code de procédure, j’ai introduit des demandes de nullité enregistrées au greffe du tribunal de commerce de Nouadhibou le 08/10/2024. J’y ai réaffirmé mes objections dans le cahier des charges déposé au tribunal concernant les 211 terrains, sans mention des 11 titres fonciers (aucun cahier des charges ne les concernant n’ayant été déposé). Le tribunal n’a statué sur ces nullités que le 3 février 2025, comme il sera précisé plus loin.
Alors que l’appel contre l’ordonnance de désistement était pendant devant la cour d’appel commerciale, l’huissier a annoncé le 04/11/2024 une nouvelle audience de vente aux enchères qu’il a prévu le 14/11/2024, soit dix jours plus tard (la loi impose 30 jours au préalable sous peine de nullité). Nous avons fait constater par un huissier indépendant que l’unique annonce affichée à l’entrée du palais de justice de Nouadhibou faisait état de la vente des 211 terrains, en affirmant que leurs numéros étaient annexés, ce qui était faux. L’huissier n’a pas notifié les sociétés saisies ni convoqué leurs représentants. Quand je lui ai signalé que la loi exigeait cette notification sous peine de nullité, il m’a répondu que les convocations de l’audience du 15 octobre 2024 le dispensaient d’en adresser pour les audiences ultérieures !? Or, l’article 391 du Code de procédure dispose clairement que la convocation au débiteur et des créanciers inscrits doit intervenir au moins 30 jours avant la date de la vente, sous peine de nullité absolue.
Étant donné l’ordonnance de dessaisissement du tribunal de Nouadhibou et l’absence de décision de la cour d’appel sur l’appel, nous avons demandé au président de la cour d’appel de suspendre la vente jusqu’à la tenue de la chambre du conseil. Il a répondu en modifiant la date de vente au 5/12/2024 au lieu du 14/11/2024, estimant que la chambre se réunirait d’ici là. L’huissier a profité de ce délai pour agir sans considération de 26 articles du Code de procédure concernés, ignorant délibérément le contrôle judiciaire dont les décisions sont définitives selon l’article 396.
Il a poursuivi en regroupant les ordonnances et les sociétés dans deux procédures, chacune concernant les trois sociétés, mentionnant trois ordonnances (dont la n°159/2023 sans lien avec les sociétés) et une quatrième (n°194/2023) non incluse dans l’ordonnance de délégation. Une procédure portait sur les 11 titres fonciers (non visés et sans cahier des charges) et l’autre sur les 211 terrains (sans mention de surface, de prix de départ, d’emplacement ni de numéros, contrairement à ce qu’il prétendait — comme le prouve le procès-verbal d’un huissier indépendant que nous avons mandaté). Il n’a pas notifié le débiteur, ce qui entraine, en vertu de l’article 391, une nullité absolue.
Le 29 novembre 2024, Maître Babiye a rédigé deux annonces pour vendre des centaines de biens non visés par le conservateur. L’unique annonce apposée au tribunal ne mentionnait ni les numéros, ni les superficies, ni les prix de départ (mise à prix). Elle se limitait à convoquer à une vente prévue le 5 décembre 2024 à 11h pour les terrains et 12h pour les titres fonciers, soit seulement 6 jours plus tard incluant un week-end. Aucune notification n’a été envoyée aux représentants légaux des sociétés saisies, les annonces n’ont été affichées que dans un seul lieu (alors que la loi exige 9 endroits), sans procès-verbal d’affichage, ce qui entraîne la nullité absolue.
Les annonces ne faisaient pas mention de l’ordonnance n°152/2023 concernant MASOF, mais uniquement de la n°159/2023, étrangère au litige.
Le 5/12/2024 à 11h, Maître Babiye a tenu une séance de vente en présence d’un huissier de Nouakchott (Maître Sidina Ould Abekar). Dès le début de l’audience, j’ai demandé des précisions procédurales en tant que représentant des sociétés, mais l’huissier a refusé tout échange. Pendant que je lui parlais, il a déchargé — en ma présence — le dispositif de l’arrêt n°15/2024 de la cour d’appel de Nouadhibou, rendu le même jour, annulant l’ordonnance de dessaisissement du 01/08/2024 et confirmant la compétence du tribunal de commerce de Nouadhibou. Il a signé l’accusé de réception devant un huissier indépendant, s’apprêtait à lever la séance, mais son associé Maître Sidina (président du syndicat des huissiers) lui a ordonné de continuer, malgré l’inobservation des articles 379 à 405, comme le prouvent les deux huissiers indépendants présents.
L’audience s’est tenue devant un nombre restreint de personnes, dont un jeune homme nommé Ahmed Salem Dadou Msaboue, qui était assis face à l’huissier, tenant un dossier. À chaque appel de lot, il répondait “je n’achète pas” ou “j’achète”, sans enchère. Un autre homme a tenté d’enchérir, mais l’huissier lui a répondu qu’il n’y avait plus rien à vendre. En moins d’une heure, Maître Babiye a déclaré avoir vendu à Msaboue les biens qui l’intéressent, et a notamment déclaré avoir adjugé les biens restant à la Banque Al-Amana, puis il quitta la salle avec ses collaborateurs, comme l’ont attesté les deux huissiers indépendants qui étaient présents.
À noter : s’il avait respecté la loi, il n’aurait pas pu examiner les offres portant sur plus de 200 lots en moins de 10 heures car après toute offre il est tenu d’attendre trois minutes (3 minutes X 200 = 600 minutes, soit 10 heures). De plus, selon l’article 401, l’adjudication n’est définitive qu’après un délai de 10 jours pendant lequel des surenchères peuvent être faites.
Après l’audience, l’huissier a signé trois procès-verbaux d’adjudication, un par société, y mentionnant les ordonnances n°151/2023, 159/2023 (sans rapport avec les sociétés) et 179/2023 (concernant CCS), à laquelle il a ajouté l’ordonnance n°194/2023 qualifiée de “rectificative”, bien qu’elle ne soit ni incluse dans l’ordonnance de délégation ni notifiée aux sociétés saisies. Aucune mention n’a été faite de l’ordonnance n°152/2023 relative à la société MASOF. Par les trois PV l’huissier a déclaré que les 219 biens immobiliers ont été vendus aux enchères à Ahmed Salem Dadou Msaboue, y compris ceux pour lesquels il a déclaré ne pas acheter et notamment sans aucune mise à prix préalable.
Pire encore, chaque procès-verbal mentionne une saisie contre M. Brahim Ould Ahmed Ould El-Hadj Mokhtar à titre personnel (sans décision judiciaire autorisant cela), ainsi qu’une saisie sur chacune des trois sociétés pour un montant de 324.374.901 MRU (plus de 3 milliards d’anciennes ouguiyas !) L’ordonnance n°151/2023 du tribunal de commerce de Nouakchott contient un numéro non inscrit dans le protocole (03707) et fait référence à un acte de conciliation signé devant un notaire étranger à l’affaire !
Un exemple flagrant d’injustice : la dette de la société CCS objet de l’ordonnance 179/2023 est de 76 millions MRO (ancienne), mais l’huissier a déclaré avoir vendu un seul bien destiné à garantir sa dette à un prix de 700 millions d’Ouguiya sans restituer le surplus au débiteur ni expliquer où est passée la différence.
3. Le contrôle juridictionnel
Après la séance de vente tenue par l’huissier le 05/12/2025, qui a coïncidé avec une décision de la cour d’appel annulant l’ordonnance de dessaisissement rendue par le tribunal de commerce de Nouadhibou et lui renvoyant l’affaire, nous sommes retournés devant le juge compétent pour superviser l’exécution. Nous y avons introduit une contestation contre les nouvelles procédures de l’huissier, sur la base de l’article 395 du Code de procédure civile, commerciale et administrative. Cette contestation avait été déposée le 08/10/2024, avant l’unique audience de vente (prévue le 15/10/2024), à laquelle nous avions été convoqués. Nous avions également inscrit notre opposition dans le cahier des charges, mais le tribunal n’a pas statué dessus.
Le tribunal a convoqué les parties à une audience en chambre du conseil tenue le 30/01/2025, à laquelle ont assisté les trois juges, l’huissier et les représentants des deux parties. Après avoir entendu chacune, le tribunal a interrogé l’huissier, mis l’affaire en délibéré, et rendu la décision n° 07/2025 en date du 03/02/2025, annulant les procédures de saisie immobilière et de vente effectuées par l’huissier le 05/12/2024, et l’enjoignant de recommencer la procédure. Cette décision motivée est rédigée en cinq pages.
Malgré la nature de cette décision, qui empêche le recours, et bien que l’article 396 du Code de procédure stipule que « les décisions relatives à la saisie immobilière sont définitives », la Banque Al-Amana a introduit un pourvoi en cassation et a renvoyé le dossier à la chambre commerciale de la Cour suprême.
En conséquence, une copie du mémoire du pourvoi de la Banque Al-Amana nous a été notifiée avec un délai de réponse de sept jours. Notre réponse est parvenue au greffe de la chambre commerciale de la Cour suprême le jeudi 06/03/2025. La chambre a statué le mardi 11/03/2025, annulant la décision n° 07/2025 rendue par le Tribunal de commerce de Nouadhibou.
Au lieu de retourner vers le tribunal de commerce de Nouakchott, comme le demandait la Banque Al-Amana dans sa requête du 20 novembre 2024 adressée à la cour d’appel de Nouadhibou, la banque a changé de stratégie et a soutenu que la procédure d’exécution était achevée, que l’affaire était tranchée en sa faveur, et que l’arrêt de la Cour suprême (n’annulant pas les procédures de saisie, ce qui n’est pas de sa compétence) lui donnait droit à la pleine propriété des biens de Brahim. La Banque a donc commencé à commercialiser les terrains en coordination avec le simulacre acheteur Ahmed Salem Dadou Msaboue’ soupçonné de travailler pour le compte du directeur de la Banque Al-Amana, Mohamed Ould Bouna Mokhtar, président actuel de la Fédération des institutions financières (FIF).
Face aux abus commis par l’huissier, préjudiciables à Brahim Ould El Hajj Mokhtar, et reflétés dans des procès-verbaux infondés, ce dernier a déposé une plainte auprès du procureur général chargé de la surveillance des huissiers. L’huissier, convoqué, a affirmé être protégé par une décision de la Cour suprême.
Bien que la loi impose de rédiger les décisions judiciaires dans les quinze jours suivant leur prononcé, et malgré les relances des avocats, la décision n° 09/2025 de la chambre commerciale de la Cour suprême rendue le 11/03/2025 n’a été rédigée que le lundi 2 juin 2025, soit près de trois mois plus tard.
Les motifs de l’arrêt se résument à deux :
1. L’absence d’invocation des causes de nullité dans le délai légal et leur non-inscription dans le cahier des charges, selon l’article 395. Pourtant la seule audience dont nous avions été informés était celle du 15/10/2024, et nous avions bel et bien présenté nos moyens d’annulation écrite à temps par mémoire plus une mention manuscrite dans le cahier des charges. Ce fait est attesté par le tribunal devant qui les causes de nullité et le cahier de charges ont été déposés.
2. Le fait que la décision n° 15/2024 de la cour d’appel de Nouadhibou aurait fixé la date de la vente au 05/12/2024 : cette décision a été rendue le jour même de la vente et n’en fixait nullement la date ; elle annulait simplement l’ordonnance de dessaisissement et renvoyait l’affaire au tribunal de commerce de Nouadhibou.
Quiconque lit les motifs de l’arrêt n° 09/2025 ne peut qu’être déçu : la chambre commerciale de la Cour Suprême a annulé une décision sans même l’avoir lue, se basant uniquement sur le mémoire de la Banque Al-Amana, sans prendre en compte notre réponse réfutant ses affirmations, notamment que la décision n° 15/2024 aurait fixé la date de la vente. Il est de principe en droit qu’aucune partie ne peut être crue sur sa seule déclaration.
4. Le rétablissement du droit
Bien que toutes les juridictions mauritaniennes aient rejeté les arguments de Brahim, celui-ci n’a jamais perdu espoir et a continué ses procédures.
Il a déposé une plainte contre le notaire dont les « protocoles d’accord » comportaient la signature et mentionnaient qu’ils avaient été signés en sa présence. Ces documents étaient la base de l’exécution forcée. La plainte a été transférée pour enquête. En mars 2025, le notaire a reconnu, devant la police judiciaire, que les protocoles n’avaient jamais été signés devant lui, ni dans son bureau, mais provenaient de la Banque Al-Amana. Sa déclaration a été consignée dans le procès-verbal n° 012/2025 de la police chargée des commissions rogatoires, en date du 17/03/2025.
La Banque n’a même pas été convoquée, le procureur près le Tribunal de la Wilaya de Nouakchott-Ouest a classé la plainte sans suite et a notifiée sa décision à Brahim le 26/03/2025.
Une fois le procès-verbal obtenu, comportant la déclaration sans équivoque du notaire qui enlève tout caractère exécutoire aux protocoles, trois recours extraordinaires ont été déposés sous forme de demandes de révision. Chaque recours concernait une société distincte et faisait six pages. Une audience d’urgence s’est tenue le 15/05/2025. Le président du Tribunal de commerce de Nouakchott a proposé une médiation le 21/05/2025. Le 23/05/2025, le tribunal a rendu une seule ordonnance rejetant les trois recours pour irrecevabilité formelle, au motif que les ordonnances d’exécution ne sont pas susceptibles de recours en révision.
Nous avons interjeté appel, nous demandant s’il est juste qu’un titre devenu non exécutoire continue à produire ses effets judiciaires.
5. Conclusion
Je me suis abstenu dans cet article d’évaluer globalement le fonctionnement de la justice mauritanienne. J’ai préféré relater des faits vérifiables, qui reflètent le traitement précipité de certaines affaires, sans examen attentif du dossier, ni prise en compte sérieuse des arguments de chaque partie, contrairement aux exigences légales.
J’ai également montré l’ampleur des abus commis par certains huissiers qui échappent au contrôle judiciaire par des procédures abusives, sans être tenus responsables. Dans cette affaire, la Banque Al-Amana a demandé la délégation d’exécution au tribunal de commerce de Nouadhibou. Une fois la délégation obtenue, elle a demandé au Tribunal délégué de se dessaisir, ce qu’il a fait. Pourtant, l’huissier a ensuite déposé un cahier des charges auprès du même tribunal, onze jours après son dessaisissement.
Bien que nous ayons déposé des causes de nullité dans les délais, l’huissier a continué la procédure et, malgré l’annulation du dessaisissement par la cour d’appel, il a poursuivi l’audience et procédé à la vente de centaines de biens sans notification préalable et à défaut d’enchère, violant plusieurs dispositions qui entrainent la nullité.
La Cour suprême, au lieu d’imposer le respect de la loi, semble parfois annuler des décisions sans en lire les motifs. C’est ce qui s’est produit ici : elle a fondé son arrêt n° 09/2025 sur la décision n° 15/2024, croyant à tort qu’elle fixait la date de la vente, alors qu’elle renvoyait simplement l’affaire au tribunal compétent.
De plus, la Cour a ignoré notre mémoire en défense, dans lequel nous soulevions notamment l’absence de qualité pour agir du demandeur au pourvoi. Cette erreur a conduit à une décision entachée de graves irrégularités.
– A SUIVRE –
Nouadhibou, le 15 juin 2025
Me Mohamed Sidi Abdrahmane Ibrahim, avocat.