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Dans « Saara », l’écrivain Beyrouk raconte le monde vu de ses marges

Le Monde Afrique – Trois voix se font entendre et trois destins se frôlent dans Saara, le nouveau roman de l’écrivain mauritanien Mbarek Ould Beyrouk. Une femme libre, un homme de foi respecté et un jeune mendiant s’y racontent tour à tour, passant des débuts de leur existence aux questionnements que leur imposent les mutations les plus actuelles de la société.

Saara, le premier personnage, a connu nombre de vicissitudes depuis son enfance. Abandonnée par sa mère, maltraitée par son père, elle trouve un temps du réconfort dans le duo qu’elle forme avec sa sœur, avant que cette dernière ne la lâche à son tour.

Brisée par cette trahison, Saara survit quelque temps, soumise à la violence des hommes, jusqu’au moment où elle décide d’assumer sa destinée en ouvrant, tête haute, sa maison à la luxure et à toutes les ivresses.

« Je suis courtisane. Courtisane ? Un bien beau mot, je suis une garce en vérité », ironise-t-elle, aussi provocatrice que rebelle.

Né dans le dénuement le plus absolu, Jid, le second protagoniste, est le fils d’une mendiante malade, devenu mendiant lui-même et prétendument sourd et muet. Enfin, le cheikh Qotb, troisième personnage du roman, se consacre en leader à l’élévation spirituelle de ses fidèles, depuis longtemps installés dans une oasis préservée au cœur du désert. Il va pourtant devoir se confronter aux hommes politiques de la grande ville, qui convoitent son territoire et risquent fort, en imposant la construction d’un barrage, de faire basculer sa communauté dans un nouvel ordre du monde.

Un pays et une ville sans nom

Alors que l’histoire du cheikh semblait n’avoir rien en commun avec celles de Saara ou de Jid, Beyrouk fait résonner les trois personnages entre eux, chacun incarnant une forme de marginalité, d’abord subie puis finalement revendiquée. Ainsi, « Jid est muet mais ses yeux parlent, il est mendiant mais il est fier. Il prend l’aumône comme un dû, il refuse les gros billets, non, rien que des pièces, comme s’il se réservait ainsi un peu de dignité ». De même se comporte la belle Saara, femme indépendante et altière, qui se grise de musique lors des soirées incessantes qu’elle offre à ses amis. C’est ainsi qu’elle tente d’oublier la souffrance insondable qui l’habite :

« Là, au fond de moi je sens un vide qui crie, un désir de bras qui serrent, de cœurs qui embrassent, d’étreintes qui durent plus qu’un instant. »

« Le problème est que ce barrage entraînera une nouvelle forme de culture qui tuera ces terres, il entraînera l’arrivée de centaines, voire de milliers de personnes qui n’embrasseront ni ne respecteront notre Voie, il fera de nous des parias dans une oasis que nous avons créée. Sur cette terre d’adoration, il installera la recherche du gain. »

Comme toujours dans ses livres – Saara est le huitième –, Beyrouk situe son histoire dans un pays et une ville sans nom, même si les lieux décrits évoquent bien sûr les espaces qui lui sont chers, des déserts de sa Mauritanie natale aux montagnes des pays africains proches du Sahel. Il cherche ainsi à mettre en exergue certaines des problématiques actuelles de cette région, comme le dépérissement des classes les plus pauvres à l’heure où disparaît le sens de la solidarité, ou encore la détérioration environnementale des zones autrefois protégées et aujourd’hui soumises aux opportunismes financiers.

Du roman au conte philosophique

De même les protagonistes de Saara servent-ils de prétexte à des idées bien plus qu’à une intrigue. Bien que leurs histoires soient riches en péripéties et foisonnantes de personnages, on ne sent pas moins l’ensemble du livre s’éloigner du genre romanesque pour emprunter la voie du conte à caractère philosophique. La narration teintée de féerie tragique des débuts du livre le cède progressivement au réalisme cru et brutal du monde qui vient :

« Le monde tel que [le cheikh] le connaissait jusqu’alors se fissure pour laisser place à de nouveaux pouvoirs et de nouvelles entités. »

Heureusement, l’espoir demeure présent sous la plume poétique de Beyrouk, lorsqu’un rapprochement amoureux irrationnel et imprévu s’esquisse entre la courtisane et le cheikh. Avec légèreté, sans jamais imposer ses idées, l’écrivain ouvre à ses lecteurs des pistes de réflexion sur le devenir du monde. Un roman à lire autant qu’à méditer.

Saara, de Beyrouk, éd. Elyzad, 236 pages, 19,90 euros.

Kidi Bebey

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