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Sahel : l’exception mauritanienne

Dans un Sahel où prospère le djihadisme, la Mauritanie fait figure d’exception, malgré le dénuement des populations. L’effet d’une présence constante de l’Etat mais aussi du dialogue mené avec les islamistes. Reportage.

L’immensité de sable ocre dévoile un manteau rocheux qui noircit l’horizon. Ce désert est un espace de liberté qui ne connaît pas de frontière, à l’instar de la culture nomade, rythmée par l’élevage et la transhumance.

Entourée par le Maroc, le Sénégal, l’Algérie et le Mali, la République islamique de Mauritanie est un pays peuplé par 4 millions d’habitant·es, et d’une superficie trois fois supérieure à celle de l’Allemagne.

A 1200 kilomètres à l’est de la capitale Nouakchott, une passe verrouille le plateau sur lequel repose Néma, chef-lieu de la région Hodh Ech Chargui. En 2010, c’est dans cette zone frontalière avec le Mali où, après avoir forcé un barrage de l’armée, un véhicule bourré d’explosif a tenté de foncer vers une caserne. Le chauffeur qui appartenait à AQMI (Al Qaida au Maghreb islamique), a été abattu avant d’atteindre sa cible. Depuis lors, la région, qui est sous forte surveillance de l’armée, n’a plus subi d’attaques.

Trente kilomètres à l’est de Néma, l’asphalte laisse place à la piste. Celle-ci rejoint Achemim, un village jonché de plastique, avec des airs de bidonville. C’est là qu’est implanté un centre de formation pour le Groupement nomade (GN) de la Garde nationale. Créées par l’armée française en 1912, ces patrouilles méharistes (à dromadaires) ont été relancées au début des années 2000 dans les confins sahéliens du pays. Les militaires rustiques et rompus au terrain qui composent le GN, tentent de sécuriser le désert à dos de chameau, kalachnikovs en bandoulière, au côté de leurs collègues déployés en 4×4.

Présence de l’Etat

«Ces unités ont aussi pour tâche de régler les conflits entre éleveurs, de curer les puits, et d’assurer des soins médicaux basiques, détaille l’adjudant chef méhariste Sidi Lebssah. Leurs missions peuvent durer plusieurs mois.» L’objectif est ainsi d’empêcher les groupes djihadistes de se substituer à l’Etat, et d’obtenir en retour «une fidélité et des renseignements». Un modèle qui n’a donc rien de folklorique, selon Sheikh Chrouf, vétéran de la guerre contre le Front Polisario en 1976 et le Sénégal en 1989. «Le GN permet d’être en contact avec les populations des zones les plus enclavées, là où l’Etat ne passe pas.»

Le nouveau quartier général ainsi qu’une dizaine de puits sont financés par un programme de l’Union européenne. Une approche que soutient le général Yacoub Ould Amar Beyatt, présent lors de l’inauguration du centre. «L’idée laissant à penser que les problèmes de défense exigent une réponse strictement militaire est révolue», indique-t-il ce 28 janvier, en uniforme militaire et en direct à la télévision nationale.

A Achemim, les habitant·es vivent de peu, dans des masures ou des tentes traditionnelles, les khaimas, symbole de la culture nomade. Un terme qui désigne aussi la notion de famille, voire de tribu. Ces habitations mobiles de forme pyramidale sont cordées à des piquets plantés dans le sol afin de résister aux vents et aux inondations.

Dénuement

Sous l’une d’elles en cette fin janvier 2022, l’ambiance est lourde. Toute la famille de Ahmedou Amadou est rassemblée. «Mon fils est malade, il souffre d’une tumeur et ne parle plus depuis deux ans», s’émeut Myriam, sa mère, drapée dans un voile violet. Le jeune homme de 21 ans tremble de tout ses membres, et son visage est livide. Un œdème inquiétant recouvre son entrejambe. «Il ne prend pas de médicaments car chaque boite coûte plus de 50 euros. Personne ne paiera pour le sauver», reprend la femme. Dans cette partie de la Mauritanie, on peut s’estimer heureux d’avoir un salaire, et celui-ci dépasse rarement les 100 euros. Impuissant, Sidi Mohamed Ould, le maire du village, qui arbore l’étendard mauritanien et porte un chèche noir, ne peut que compatir.

Si l’édile de 65 ans à la moustache bien taillée se réjouit «que la sécurité soit revenue», les conditions de vie restent précaires. A cinquante par classe, et assis dans le sable, les élèves assistent aux enseignements dans un bâtiment décati, dont la toiture en tôle laisse filtrer les rayons du soleil. Posée sur le bras d’une dune, cette madrasa dispense une éducation principalement religieuse. Depuis les années 1970, et dans le cadre d’un nationalisme exacerbé, les autorités ont lancé un programme d’arabisation visant à détrôner le français comme langue de travail, faisant ainsi ressurgir les vieux démons de la division entre arabes et négro-africains.

«Nous manquons de livres de cahiers et de stylos», ajoute Hamadie Cheikh, le chef de l’unique établissement scolaire à 40 kilomètres à la ronde. Pendant ce temps, les plus fortunés du pays envoient leurs enfants étudier à l’étranger.

Sédentarisation?

Les habitant·es d’Achemim restent néanmoins bien loti·es, car alimenté·es en électricité par des panneaux solaires, et en eau grâce à un puits. Quelques tomates, aubergines, carottes et choux transforment parfois le désert en jardin. Ces infrastructures sont inexistantes dans les confins désertiques de la Mauritanie où les résident·es, le plus souvent analphabètes, vivent en autarcie. Ce sont des cibles de choix pour les djihadistes qui profitent de leur isolement.

Il existe pourtant bien une autre manière pour ces populations de se tourner vers l’extérieur: la radio. Mais la Mauritanie ne dispose pas d’assez de postes à ondes courtes pour alimenter tout le pays. «Les vieux émetteurs manquent de pièces de rechange, et le programme national n’est pas diffusé à plus de 50 kilomètres de la capitale», précise Yann Philippe, consultant en radios communications à Nouakchott. Faute d’investissements suffisants, il est donc seulement possible de capter de temps à autre RFI, la BBC ou Al Jazeera.

Pour tenter de rassembler ces populations éparses, une idée fait son chemin. Celle de conditionner l’aide publique à la sédentarisation dans un village de 1000 habitant·es. Mais elle est pour l’instant restée lettre morte. «Ces terres sont celles de nos ancêtres, et nous refusons de les quitter», explique un chef de famille dont la khaima est plantée au milieu de nulle part.

Tensions avec le Mali

A une heure de piste d’Achemim, le désert se transforme peu à peu en savane sèche. Les pâturages se densifient, et les acacias prolifèrent, tandis que les pistes sont traversées par des bovins et des chameaux. Les bergers comme Yupa Sid Brahim ne sont jamais loin de leur troupeau. «Je dois faire plus de 30 kilomètres pour trouver un pré vierge» détaille-t-il. Originaire du Mali, cet homme de 40 ans touche 3000 ouguiya par mois, environ 80 euros, pour gérer ces chèvres. «La zone frontalière est très dangereuse car il y a des voleurs», reprend-il. Pas uniquement. Côté malien, mercredi 19 janvier, sept éleveurs mauritaniens ont été tués dans une exaction qui porte la marque de l’armée malienne, selon le gouvernement de Nouakchott. Un événement qui entache la tentative des autorités putschistes maliennes d’obtenir le soutien de la Mauritanie face aux sanctions de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). L’incident diplomatique a toutefois été évité.

Battus par les vents, les villages comme les pistes, sont recouverts par le sable. Il faut une connaissance parfaite du terrain pour se déplacer, et faire étape là où se trouvent les puits. Ceux du programme Ghawdat fonctionnent à l’énergie solaire, grâce à une pompe immergée qui envoie l’eau vers le château. «Cette ressource est gratuite, mais elle est parfois vendue à ceux qui ne peuvent l’atteindre», regrette le maître d’œuvre du chantier, venu certifier la fin des travaux.

Répression et dialogue

Nbeiket Laouach est la dernière étape avant le Mali. C’est là, dans un campement rustique que la force conjointe du G5 Sahel – Niger, Burkina Faso, Tchad et Mali – abrite 700 soldats mauritaniens. Les opérations militaires conjointes demeurent pour le moment rares, sinon inexistantes. Les véhicules tout-terrain sont équipés de mitrailleuses M80, et les hommes de kalachnikovs et RPG7. Ces unités mobiles ont remplacé les formations lourdes et inadaptées au modèle de lutte contre les groupes armés.

Tandis que les groupes méharistes jouent un rôle de police de proximité et d’aide aux populations, ces escadrons motorisés sont quant à eux destinés exclusivement au combat anti-terroriste. Grâce à cette stratégie répressive, couplée à l’amnistie des djihadistes repentis, la République islamique de Mauritanie, qui applique la charia, n’a plus connu d’attentat depuis 2011.

Au Sahel, l’idée d’un dialogue avec les groupes extrémistes violents acquiert aujourd’hui une certaine crédibilité, notamment au Mali voisin. Le pays des Maures est d’ailleurs fréquemment accusé d’avoir établi un accord tacite de non agression avec les groupes terroristes, voire même, selon les Etats Unis, de verser plusieurs millions de dollars à AQMI afin d’éviter les enlèvements de touristes. Le modèle mauritanien n’en demeure pas moins singulier dans cette région en proie à une instabilité chronique.

Par Pierre Coudurier

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