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En Mauritanie, l’agro-écologie pour préparer l’avenir

Dans ce pays africain touché par le chômage, l’émigration et la dépendance alimentaire, le CCFD et ses partenaires encouragent des projets de production agroécologique et de sensibilisation pour consommer localement.

Le 14 février 2017, le jour de son anniversaire, Bakary Mangassouba a planté son premier manguier dans sa ferme, Innovation Mangassouba, à l’entrée de Kaédi, dans le sud de la Mauritanie, où il nous reçoit. De l’extérieur, l’endroit ne paie pas de mine. En bordure de la route minée par les nids-de-poule, entre deux buissons touffus et secs, le portail rouillé grince quand on l’entrouvre.

Une fois que la porte de fer a consenti à s’ouvrir, le contraste avec l’extérieur est saisissant : les nuances de vert se multiplient, entre l’émeraude des bananiers et le vert foncé des manguiers. Entre les arbres, des poules et des poussins picorent, au son des bêlements des agneaux. Un peu plus loin, le fleuve Sénégal s’écoule.

Il y a cinq ans naissait cette ferme agroécologique où Bakary et ses employés cultivent une multitude de fruits et légumes : bananes, raisin, agrumes, carottes, manioc, papayes, mangues… Un projet visionnaire dans cette région nourricière où dominent les rizières et où, surtout, 70 % de la nourriture est importée du Maroc ou du Sénégal. « Alors qu’on a de l’eau et de la terre, on a tout ce qu’il faut ! », s’indigne Bakary Mangassouba, grand gaillard en tee-shirt jaune.

Dans le quartier de Riyadh, à Nouakchott, Citoyennes et citoyens debout (CCD) a développé un espace-test, où se trouve un poulailler.

Une forte dépendance alimentaire

Le sud de la Mauritanie, irriguée par le fleuve Sénégal, qui marque la frontière avec l’État du même nom, est connu pour ses cultures fluviales et son maraîchage. Un peu plus au sud, la région du Guidimakha, carrefour entre la Mauritanie, le Sénégal et le Mali et surnommée le « grenier de la Mauritanie », affiche même le taux de pluviométrie le plus élevé du pays, permettant une belle agriculture.

Le Sud est aussi connu pour la qualité de ses graines paysannes, soigneusement préservées de génération en génération par des semenciers précautionneux, et exportées dans de nombreux pays d’Afrique grâce au concours d’ONG françaises comme le GRDR (Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural).

Pourtant, la production de la Mauritanie ne permet de subvenir qu’à 50 % des besoins de ses quatre millions d’habitants, la rendant fortement dépendante des importations. En 2020, la crise sanitaire et la fermeture des frontières entraînent une autre crise en Mauritanie, alimentaire cette fois : plus de sucre, plus de blé, plus de légumes, plus de riz même. « Le kilo d’aubergines est passé de 30 UM (0,75 €, ndlr) à 700 UM (17,5 €, ndlr). C’était la panique ! », se souvient Moïse Luemba, coordinateur de la région du Gorgol (à laquelle appartient Kaédi) pour le GRDR.

Dans le cadre du programme Tapsa (Transition pour une agroécologie paysanne au service de la souveraineté alimentaire), le GRDR, en partenariat avec le CCFD-Terre solidaire, propose des formations à l’agroécologie à destination des agriculteurs, nombreux le long du fleuve Sénégal. Le but, comme le nom du programme l’indique : tendre vers l’autosuffisance grâce à l’agroécologie. Un enjeu vital pour ce pays, qui demeure le plus pauvre du monde arabe.

Lutter contre le départ massif des jeunes en Europe

« L’agroécologie, en fait c’est ce qu’on fait depuis toujours mais on ne connaissait pas le terme », résume Marega. Agronome de formation, le jeune homme de 29 ans a fondé son exploitation avec quelques copains, dans le centre de Kaédi, en mars 2020. Un mur en parpaings abrite deux poulaillers, quelques moutons et de nombreux fruits et légumes, comme les papayes qu’il aime faire goûter à ses invités.

Dans cette région connue pour son fort taux d’émigration, le projet de Marega est représentatif d’une nouvelle génération de Mauritaniens, désireux d’investir dans leur propre pays. Dans sa famille, Marega est le seul à être resté au pays. Tous ses frères et sœurs sont partis en Europe ou aux États-Unis. Lui avait envie de construire et de réussir ici.

À quelques kilomètres de là, la ferme de Bakary Mangassouba porte le même récit. Il doit tout à sa sœur, Walde, trésorière au port de Nouakchott, la capitale. Depuis des années, Walde voit tous ses frères et sœurs, un par un, partir pour l’Europe en quête d’une vie meilleure. Quand Bakary, comme la plupart des jeunes de son âge, annonce vouloir quitter clandestinement la Mauritanie, sa sœur le prend entre quatre yeux : « Et si tu pars en Europe, tu vas faire quoi ? » Fils d’un directeur de recherche en agronomie, il répond du tac au tac : de l’agriculture, c’est sûr, c’est ce qu’il sait faire le mieux.

Avec ses économies, Walde lui achète un terrain dans sa ville natale, à quelques dizaines de mètres du fleuve Sénégal. Le jeune homme accepte de rester, deux ans, pas plus. Aujourd’hui, « même pour deux millions, je bouge pas ! », sourit-il.

À travers tout le pays, pourtant connu pour sa sécheresse, de nombreuses exploitations agroécologiques se mettent en place progressivement, avec l’appui d’ONG françaises comme le CCFD, le GRDR ou d’associations mauritaniennes comme Citoyennes et citoyens debout (CCD).

À Riyadh, au sud de Nouakchott, CCD a mis en place en février 2021 un espace de formation et de réinsertion pour des jeunes touchés par le chômage. Après un an de formation, 10 jeunes constitués en groupements d’intérêt économique (GIE) se préparent à lancer leur propre exploitation. Tous sont épaulés par le CCD pour la question foncière, qui reste le gros problème de nombreux agriculteurs, confrontés à la pauvreté.

Le maraîchage, clé d’indépendance pour les femmes

Dans leur parcours, les cultivateurs agroécologiques se heurtent à de nombreuses difficultés : l’accès à la terre, la divagation massive des ânes, chèvres, moutons et phacochères qui ruinent les cultures, mais surtout la sécheresse. Ce qui n’arrête pas Awa et Awa. Originaires du sud du pays, débarquées à Nouakchott dans les années 1990, les deux inséparables cousines aux boubous colorés ont commencé ensemble l’agriculture en 2015, alors que leurs maris étaient au travail et leurs enfants, à l’école.

Au début de leur activité, elles étaient seules sur cette petite parcelle du sud de la capitale. Le pari était un peu fou : le terrain est situé en plein désert. Sept ans plus tard, après une formation en agroécologie dispensée par le programme Safire (Sécurité alimentaire, formation, insertion, résilience et emploi), financée notamment par l’Union européenne, le CCFD et le GRDR, papayes et laitues poussent à même le sable, dans un paysage lunaire. Ce petit miracle est possible grâce à la proximité de la station d’épuration, que l’on aperçoit depuis le terrain des cousines.

Aujourd’hui, elles ont été rejointes par de nombreux cultivateurs, parmi lesquels de nombreuses femmes, qui se sont installés autour de leur parcelle. Car, en Mauritanie, le maraîchage est plutôt une affaire de femmes, souvent issues des communautés noires mauritaniennes, touchées par le racisme systémique propre au fonctionnement multiethnique de la Mauritanie.

Dans le Sud agricole, de nombreuses femmes pauvres issues des communautés peules ou soninkés se tournent vers le maraîchage dans le simple but de nourrir leur famille. À Sélibabi, dans le Guidimakha, une trentaine de femmes de milieux trop modestes pour accéder à la terre se sont constituées en coopérative.

Située au milieu d’un terrain vague couvert de déchets, la parcelle a pris des airs d’oasis. Tous les matins, les femmes et certains de leurs enfants viennent s’occuper des plants de menthe et des navets. Une partie des légumes récoltés finit dans le thiéboudiène du midi, le plat traditionnel mauritanien. Le reste est vendu sur le marché.

À Sélibabi, du fumier est répandu sur les terres de la ferme d’Ali Guiara. Sur les réseaux sociaux, ce dernier invite les clients à consommer localement.

Développer la consommation locale

Pourtant, une des difficultés majeures des agriculteurs mauritaniens en bio reste la sensibilisation de la population au fait de consommer localement. Dans ce pays où les trois quarts de la population vit dans une extrême pauvreté, la plupart des Mauritaniens privilégient la quantité à la qualité. Pourtant, après la crise sanitaire, les prix des produits alimentaires ne sont jamais redescendus jusqu’à leur niveau d’avant l’épidémie de Covid.

Pour beaucoup, le moment est favorable pour sensibiliser aux produits bio, dont les prix ne sont guère plus élevés. À Kaédi, Marega et ses copains ont testé les annonces sur Radio Gorgol. À Sélibabi, Ali Guiara de la ferme Soussoumpou a ouvert une boutique affectée à la vente de ses produits sur le marché et tente de sensibiliser les gens sur les réseaux sociaux.

« Il faut vraiment que vous insistiez sur l’importance de la consommation locale », prévient-il en voyant débarquer des journalistes. La route est longue : certains agriculteurs n’osent même pas exposer leurs produits sur les marchés, face à la concurrence sénégalaise et surtout marocaine.

À Riyadh, les jeunes de la petite parcelle de formation de Citoyennes et citoyens debout tentent l’approche ultralocale : le bouche-à-oreille. Tous sont issus de ce quartier de 15 000 habitants, où se trouve le terrain. Dans cette banlieue tranquille de Nouakchott, tout le monde se connaît : les tantes, les cousines, les voisins, qui ont besoin de carottes pour le couscous. Et la démarche fonctionne.

Dans le quartier, tout le monde achète ses légumes à la ferme. De son côté, à Kaédi, Bakary Mangassouba attend la récolte de cette année avec impatience. Son manguier, qu’il a planté le jour de la création de sa ferme, devrait donner ses premiers fruits au printemps.

Par Youna Rivallain

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