Opinion

Liberté d’expression en Mauritanie, entrave ou menaces voilées ?/ Cheikhna DIAKITE KABA

Le projet de loi pour protéger les symboles étatiques semble vouloir visser les clous, en empêchant les Mauritaniens d’avoir des regards et des analyses critiques sur les symboles et le fonctionnement de l’Etat. Cette volonté savamment affichée et assumée, piétine non seulement notre constitution sur les libertés individuelles et collectives, mais aussi bafoue toutes conventions signées par la Mauritanie sur les libertés, sur la démocratie et sur le devoir de protection des citoyens pour des manifestations pacifiques de dénonciation. Il serait tout simplement scandaleux que les populations soient réduites au silence, à l’obéissance et à la soumission. Au moment où, notre démocratie se cherche, au moment où la jeunesse à travers la diaspora, les hommes d’affaires et les investisseurs se cherchent pour s’impliquer dans l’essor du développement et des échanges pour y arriver par la critique et le dialogue, on voudrait nous réduire au silence et à la résignation. Pour quels résultats ?

Tous les hommes avertis, honnêtes et imbus des facteurs de cohésion et d’unité nationale savent que c’est un recul grave des libertés qui se passe sous nos yeux et que le saupoudrage pour des raisons purement politiques ne peut encadrer l’obéissance des Mauritaniens à la loi ni tête ni queue, décidée dans un salon sans même demander l’avis du peuple souverain. Comment peut-on dire à celui à qui l’armée a tué arbitrairement son père de se taire et de ne pas parler de l’assassin ? Comment peut-on dire à une veuve militaire de se résigner et de ne pas s’interroger sur les conditions de la tuerie extra judiciaire de son mari ? Comment peut-on dire à ces affamés, à qui on a augmenté sans raison les prix des denrées de première nécessité, de ne pas manifester leur colère saine à travers des mots et des phrases ? Autant de questions que l’on pourrait se poser et cela signifierait que nous serons tous dès demain derrière les barreaux. 

Le projet de loi, fort controversé, prévoit de permettre à la cour pénale d’engager automatiquement des poursuites judiciaires ou sur demande contre toute personne qui fait l’objet d’un acte jugé comme une atteinte aux symboles étatiques, à l’autorité de l’Etat et à l’honneur du citoyen. Néanmoins, ce qui est supposait être jugé comme une atteinte, ne sera désormais qu’un alibi pour museler, les blogueurs, les journalistes, les manifestants, les citoyens lambda pour des cacahuètes. Personne n’est dupe, dans ce pays, la vulgarité l’arrogance et l’indiscipline ne sont guère dans l’ADN de ce peuple mais quand on veut le réduire au néant, au silence, il se soulèvera avec brutalité. 

À ce rythme, agrandissez davantage les prisons car les déportés vers le Sénégal et le Mali protesteront toujours pour leurs droits, les affamés, laissés pour compte, dénonceront la montée vertigineuse des prix et accuseront les symboles de l’Etat de démission, de défaillance et d’inefficacité. Les victimes de l’esclavage dérouleront les banderoles, les veuves militaires s’attaqueront au symbole du 28 Novembre pour illustrer les tueries extra judiciaires d’Inal. En un mot chaque opprimé à ses maux et ses mots. Vos prisons sont-elles prêtes ? L’adage soninké dit, ¨un homme avec la parole, laissons-le s’exprimer, mais un homme venant avec un bâton, arrêtons-le¨. Méditons et référons-nous aux meilleurs sentiments pour construire ensemble un Etat de Droit.

Si ce projet de loi approuvé par le gouvernement mauritanien à l’inspiration du ministre de la justice aboutit, nous aurons alors atteint un niveau d’incohérence, de vide juridique déplorablement bas, digne d’un régime totalitaire.

Jamais la Mauritanie dans ces deux dernières décennies n’aura vécu une telle atteinte aux libertés, particulièrement aux libertés d’expression. Personnellement, je peux citer mon cas présent. Pour quelques articles du 29/04/2021 et du 28/05/2021 dans le but de contribuer constructivement à certaines dérives de notre administration, j ‘ai simplement été victime d’un harcèlement et un acharnement dont je ne voudrai pas évoquer ici les péripéties. Juste vous faire comprendre que, ce pays est géré d’une main de fer sans que l’on tienne compte des bonnes propositions, de bonnes initiatives des citoyens pourtant facteurs essentiels du progrès, du développement économique et social…

Cependant, Malgré l’œuvre d’ennemis de la démocratie et des libertés d’expression, malgré les menaces et la traque, nous continuerons à dénoncer aussi longtemps que nécessaire pour informer et dévoiler ce que certains veulent cacher.

Nous nous réjouirions si les autorités découvraient un moyen de protéger les symboles nationaux sans instaurer en même temps une police de la pensée. Car qui décidera qu’il s’agit là d’une atteinte à l’autorité, aux symboles nationaux, à l’honneur du citoyen et au vu de quels critères ? Quelle forme d’inquisiteur nous faudra-t-il, habile de déceler les contre-vérités dans tous les partis ? 

Le pouvoir cherche à se bunkeriser à se barricader en se cachant derrière le respect des symboles d’où une suspicion de l’autoritarisme ambiant qui, compromettrait toute voix discordante même si celle-ci semblerait utile pour le pays. Gouverner les Mauritaniens, ce n’est pas les soumettre à la dictature, à la menace et au chantage permanent ; vouloir manier la carotte et le bâton par l’inféodation et l’instrumentalisation de la justice est une violation grave de la séparation des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. Le peuple a le droit d’être consulté, car le pouvoir appartient au peuple.

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