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Ahmedou Ould Abdallah : Sahel : crispations franco-africaines.

Chers amis,

Avec la visite du Conseil de Sécurité au Mali sous la présidence du Kenya et de l’ambassadeur français Nicolas de Rivière, grand connaisseur des Nations Unies et de notre région, il n’y a pas d’alternative a l’optimisme.

La visite actuelle du Conseil de Sécurité vient a un moment intéressant de troubles et de multiples tensions.

Ahmedou Ould Abdallah

Président Centre4s

Les relations entre la France et le Mali, d’une part, puis entre la France, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie d’autre part, traversent une zone de hautes turbulences. Cette dégradation est due au renforcement attendu de la coopération militaire entre le Mali et la Russie, puis à la tiède collaboration des trois pays du Maghreb dans les situations d’expulsion de leurs ressortissants condamnés par la justice en France. De surcroit, l’Algérie et la France sont en compréhension limitée concernant la question mémorielle ou l’interprétation de leur histoire commune.

Depuis le renversement du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK), le 18 août 2020, les relations entre la France et le Maki sont tendues. Le colonel Assimi Goïta, a aggravé ce climat, en perpétrant un second coup-d’État en mai 2021, se proclamant président de la Transition. Surfant sur les sentiments anti-français de ses compatriotes, engendrés par « l’échec de l’opération Barkhane », il a entrepris de renforcer la coopération militaire entre son pays et la Fédération de Russie.

Cette réorientation stratégique passe par le recours aux services des paramilitaires russes de la société Wagner, dans les domaines de l’équipement et de la formation des Forces armées maliennes (FAMA). Déjà mécontente de l’intensification des liens militaires entre la République Centrafricaine et cette même Russie, la France entend, cette fois-ci, étouffer dans l’œuf cette forte implication militaire de Vladimir Poutine dans ses ex-colonies. Pour Paris, en effet, l’arrivée de ces « mercenaires » serait « incompatible » avec le maintien de la présence française au Mali.

En apparence, le Premier ministre Choguel Maiga est chargé de croiser le fer avec la France dans ce dossier qui, par ailleurs, inquiète des pays membres du G5 Sahel, la communauté internationale, ainsi que la CEDEAO. Et cet ancien étudiant en Union Soviétique, héritier autoproclamé du général Moussa Traoré, auteur du premier coup-d’État dans son pays, y va fort : « La France nous a abandonnés en plein vol… », Dénonce-t-il, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations-Unies, à New York, le 25 septembre dernier. Une allusion claire à la fin de l’opération Barkhane. Coups de colère de la ministre française des Armées puis du président Emmanuel Macron. « Ces propos sont inacceptables », a déclaré le président français. Dans sa colère, il remet en cause la légitimité du gouvernement malien, issu d’un double coup-d’État. La surenchère monte jusqu’à ce que le Premier ministre malien accuse la France d’avoir créé une enclave terroriste puis entrainé des terroristes dans le Nord Mali. Les deux parties en oublieraient la préoccupation essentielle du moment, qui est la lutte contre l’insécurité. Déjà, il se murmure que des groupes terroristes, craignant l’arrivée éventuelle des éléments de Wagner, se replient sur le Burkina Faso voisin. Pour les épouvanter, ce dernier pays devra-t-il, à son tour, faire appel aux mêmes paramilitaires russes ? Le dialogue entre Paris et Bamako, sur le dossier Wagner, semble à ce point difficile que Emmanuel Macron en vient à souhaiter avoir affaire à d’autres interlocuteurs au Mali. Pour ce faire, il invite le régime de Transition à tenir ses engagements, en organisant des élections générales, en février 2022.

Le Mali, un état souverain.

Dans cette guerre des mots, les autorités maliennes peuvent compter sur l’appui de l’Algérie pour qui « le Mali est un État souverain ». C’est qu’Alger se sent, à son tour, offensé par Paris, à un double plan. Tout commence le 28 septembre dernier. Pour protester contre le refus de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires à l’expulsion de leurs ressortissants, en délicatesse avec la justice française, vers leurs pays d’origine, la France annonce alors la réduction d’octroi de visas à leurs citoyens : 50 % en moins pour les deux premiers et 30 % pour le troisième. Les chiffres cités à l’appui de cette rétorsion sont impressionnants. Selon le ministère français de l’Intérieur, l’Algérie n’a délivré, entre janvier et juillet 2021, que 31 laissez-passer consulaires pour 7 731 Obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées par la justice. Sur ces 31 visés, seules 22 expulsions ont pu être mises en œuvre, soit un taux d’exécution de 0,2 % ! Alger en prend ombrage et parle de décision « disproportionnée » et « malencontreuse ». Ensuite, début octobre, Emmanuel Macron rencontre des Harkis, ces Algériens qui, ayant combattu aux côtés de l’armée française durant la guerre de libération, furent évacués en France. Le défunt président Abdelaziz Bouteflika les avait qualifiés de « Collabos », lors d’une visite officielle dans l’Hexagone.

Dans le présent contexte préélectoral en France, le président candidat se lâche, selon des propos rapportés par le journal Le Monde du 02 octobre courant. Caractérisant le régime algérien de « système politico-militaire », il l’accuse d’entretenir une « rente mémorielle », en servant à son peuple une « histoire officielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités ». Le président Macron avait, également, affirmé : « La construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question (…) Il y avait de précédentes colonisations ». Il semble que ces dernières assertions aient particulièrement heurté les autorités algériennes, qui, dans la même journée, ont décidé du rappel immédiat de l’ambassadeur d’Algérie en France. On peut rappeler que le candidat Macron, en février 2017, avait affirmé à Alger : « Oui, la colonisation est un crime contre l’humanité », s’attirant la colère d’une partie de l’électorat français. Le candidat draguait les 20 000 Français recensés au consulat de France à Alger, ainsi que les 1,5 million de binationaux franco-algériens présents sur le sol français puis des millions de Français liés à l’Algérie.

Et puis le sommet de Montpellier.

Dans la foulée de sa riposte, Alger, également partenaire militaire de la Russie, interdit le survol de son territoire aux avions militaires français de l’opération anti-djihadiste Barkhane, sans notification officielle. Des chefs d’États africains jubilent, car, irrités par la dernière bavure de Macron : l’organisation du sommet France Afrique, à Montpellier, du 7 au 9 octobre courant, réunissant des jeunes Africains de la société civile, du secteur privé, du monde de la culture et de la politique, au nombre de trois mille, pour parler de la refondation de la relation entre la France et le continent. Leur sélection se sera faite sur des bases discrétionnaires de la présidence de la République Française, et avec des prises en charge différenciées : billet d’avion et petit déjeuner pour les uns, pension complète dont des per diem pour d’autres. Symboliquement, dans beaucoup de contextes africains, quand un « chef » s’abaisse à discuter avec des « enfants », il se dévalorise, du fait, entre autres, du discours que ceux-ci adoptent.

À l’occasion de ce sommet nouveau format, les écarts de langage n’ont pas manqué à l’égard du président Macron. Des propos irrespectueux sur les chefs d’État africains, « court-circuités », ont été tenus par Macron comme par des « jeunes ». Enfin, le bilan aura semblé mince. Alors que le président français a traité certains chef d’États de « vieilles personnes » et de « ringards », il a ressorti des propositions qualifiées dans des termes identiques, par le chercheur français, Jean-François Bayart : l’édification d’une « Maison des mondes africains et des diasporas », la mise en place d’un Fonds d’innovation pour la démocratie doté d’un budget de 30 millions d’euros, la promesse d’un autre fonds de soutien à l’accueil d’expositions et la circulation d’œuvres africaines…

Algérie France: relations toujours tendues.

Cette tension diplomatique entre la France et le Mali risque de perdurer. Les militaires au pouvoir à Bamako sont allés trop loin dans le dossier Wagner pour faire marche arrière. La Russie leur a déjà livré, le 30 septembre, cent tonnes de matériels ainsi que deux hélicoptères de combat de type Mi-171. L’opinion publique malienne est préparée à l’arrivée des paramilitaires russes, à l’exception, toutefois, de la Coordination des mouvements de l’Azawad. L’ancienne rébellion indépendantiste estime que les éléments de Wagner causeraient trop de morts parmi les populations civiles.

Des difficultés sont également prévisibles entre le Mali, la CEDEAO, l’Union africaine et d’autres partenaires dont la France toujours, à cause d’un report éventuel des élections générales, initialement fixées en février 2022. En effet, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a laissé entendre, à Rabat, au Maroc, le 11 octobre dernier, que les élections présidentielles et législatives de février 2022 pourraient ne pas se tenir, « si la situation sécuritaire n’est pas prise en charge ». Selon lui, « un défi sécuritaire est venu avec le désengagement du partenaire français qui risque de créer un vide sécuritaire que l’État malien doit combler ». En interne, la junte affronte déjà une levée de boucliers d’acteurs politiques contre le régime de Transition à cause de ce report et de l’absence de résultats dans la lutte contre l’insécurité.

Les autorités de la Transition auraient désigné le Haut conseil islamique pour négocier avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et avec tous les chefs djihadistes. Les terroristes contrôlent 80 % du territoire malien. Vont-ils accepter ces « négociations » ?  Deux cent quatre (204) prisonniers djihadistes avaient été libérés contre trois otages occidentaux et le leader de l’opposition malienne, début octobre 2020. Une rançon, estimée à quinze millions d’Euros, soit près de dix (10) milliards de FCFA, aurait été également versée. Le gouvernement de Transition avait été payé en monnaie de singe, puisque, aussitôt élargis, les mêmes djihadistes avaient repris les armes. Sans compter que cette réorientation constitue un autre casus belli entre le Mali et ses partenaires, et en premier lieu la France ainsi que l’opération Tabuka, constituée d’unités des Forces Spéciales de l’Union européenne.

La tension entre la France et l’Algérie a une belle carrière devant elle. Par ses propos, Emmanuel Macron a transformé son pays en un repoussoir consensuel en Algérie. Une corde sur laquelle le régime du président Abdelmadjid Tebboune pourrait tirer, à loisir, afin de ressouder ses compatriotes autour du gouvernement. Des media font état du financement partiel (entre 50 et 70 %), par Alger, du déploiement de la société Wagner au Mali, comme pour mieux désavouer la France dans ce dossier délicat.

Les mois à venir, les relations diplomatiques franco-algériennes et franco-maliennes risquent de se résumer à ce slogan : ‘’De la tension à la haute tension’’ !

André Marie Pouya

Journaliste & Consultant centre4s.org

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